·
introduction ·
I ·
II ·
III ·
IV ·
V ·
VI ·
VII ·
VIII ·
IX · X ·
XI ·
XII ·
conclusion ·
bibliographie ·

I - L'EPOPEE HIPPIQUE (1792-1815)
1. La constitution des corps
2. La remise en selle des corps
: l'école nationale d'équitation
3. La manipulation des corps
4. L'honneur
II - L'HIPPIGIE (1815-1852)
1. "Le bovarysme" réglementaire
2. Revenir à la position
équestre
3. L'esprit cavalier au service
de la stratégie et de la tactique
III - LA CENTAURISATION (1852-1870)
(notes)
CHAPITRE IX - LA GUERRE DE MASSE ET LA CENTAURISATION
Avec l'avènement de la guerre de masse, les militaires
occupèrent une place de plus en plus considérable dans la vie politique.
Cette présence, croissante au XIXe siècle ne signifie pas que les
militaires étaient dans l'ensemble de fins politiciens et qu'ils
jouissaient d'une grande popularité, mais elle prouve le rôle prédominant
qu'occupaient les officiers dans l'organisation sociale.
Les rapports entre l'armée
et la société étaient nouveaux. L'armée constituait au XIXe une
véritable société dans la société qui avec ses règles particulières
influençait grandement les moeurs et les idéologies politiques du
pays. Par exemple, l'armée offrait le modèle de stabilité dans lequel
le capitaine Durand croit, sous la Monarchie de Juillet, "que les
éléments sociaux aujourd'hui divisés s'uniront intimement. C'est
en elle que la fusion s'opérera... l'armée sera le moule d'où sortira
la société de l'avenir" (1).
L'uniformisation et la discipline des diverses armes offraient des
moyens éprouvés à l'usage des politiciens en mal d'ordre et de modèle.
La représentation que l'on se faisait de l'armée n'était pas forcément
très justifiée. Se voulant une, l'armée était cependant très composite.
De 1789 à 1870, au gré des révolutions et des coups
d'Etat, les régimes se succèdèrent. Trouble et insurrections scandaient
leur courte existence. Instrument au service du régime du jour,
qui n'était pas forcément celui du lendemain, l'armée était indécise
et divisée.
Les combinaisons gouvernementales
devaient obligatoirement se garnir de militaires ou bien s'assurer
fermement de leur soutien. Les récits des grandes journées insurrectionnelles
de 1789 à 1870 montrent comment chacune des importantes initiatives
politiques s'assurait au préalable de la faveur d'une bonne partie
des officiers. Par exemple, le 26 novembre 1851, tous les généraux
de l'armée de Paris, soit vingt deux, avaient juré fidèlité et dévouement
au Prince Président pour le jour où il conviendrait d'agir (2).
François Arago fut le seul ministre de la guerre
à être un civil sous la Seconde République. Ce régime apparaissait
aux militaires comme une réaction des civil contre 1es militaires.
Jusque là les monarques portaient un uniforme d'apparence militaire,
hommage indirect rendu à l'armée. Endossant l'uniforme, Napoléon
III remettait à l'honneur l'armée. Il restitua au monde militaire
sa splendeur et son éclat.
Les changements de régime augmentaient les tensions
idéologiques au sein du corps des officiers. De surcroît, le particularisme
des armes avivait les conflits entre hommes qui ne provenaient pas
des mêmes milieux sociaux.
Les officiers de cavalerie
sortaient des milieux aristocratiques ou fortunés. Aristocratie
et fortune, qui pouvaient être de fraiche date, étaient nécessaires
pour briller, paraître et tenir son rang. Par exemple en 1834, du
Casse, sortant de Saint Cyr, avec un numéro lui donnant droit à
la cavalerie, fut placé dans l'infanterie parce qu'il avait été
boursier à la Flèche et à Saint Cyr, car il était censé ne pas avoir
les moyens de subvenir à ses dépenses dans un régiment à cheval.
Dix ans plus tard, Brincourt évoque la même sélection. Vingt ans
après, Marie-Paul d'Ussel observe à Saint Cyr l'attitude des futurs
cavaliers et disait qu'ils étaient des jeunes gens appartenant en
général à des familles nobles, riches ou haut-placée : ils étaient
très fiers de leurs éperons (3).
Le maréchal Random, ministre de la Guerre de 1851 à 1867, le confirme
dans ses mémoires.
Dans son souci de s'organiser comme un corps vigoureux
et structuré, l'armée s'imagine aussi avec une tête, une élite.
Longtemps les officiers de cavalerie avaient occupé cette position
prestigieuse. Afin de mieux coordonner l'armée dans la bataille
un corps d'état major s'imposa progressivement à l'armée toute entière.
Avec la création d'un corps d'état-major, les cavaliers durent partager
avec des officiers venus d'autres armes. Ces derniers ne négligeaient
pas donc de monter à cheval pour assumer leur fonction de commandement.
Ses membres se vantaient d'appartenir à une arme savante, c'est-à-dire
ne faisant pas appel au seul rapport d'autorité mais aussi à d'autres
connaissances supérieures concernant la décision du chef.
Jusqu'à la fin de l'Ancien Régime, les états-majors
se constituaient de toutes pièces, lors d'une entrée en campagne.
En 1783, le ministre de Ségur constitua un corps permanent d'état-major
en choisissant dans l'élite de l'armée qui ne pouvait qu'être cavalière.
Les guerres permanentes de la République et de
l'Empire n'apportèrent pas une organisation plus élaborée au système
esquissé. Sous la Restauration le ministre de la Guerre Gouvion
Saint-Cyr, vétéran de la Révolution et de l'Empire fut le principal
artisan de l'armature militaire du XIXe siècle et l'instaurateur
d'un état-major indépendant des armes spécifiques. Recrutés avec
un certain népotisme, les membres de ce nouveau corps s'adonnaient
à diverses études approfondies de topographie, d'histoire, de géographie
et rédigeaient des mémoires, etc... Bon nombre de notabilités politiques
de la France du XIXe siècle sortirent ainsi de ce corps: Mac Mahon
et Trochu furent chefs de gouvernement, et de Cissy, Berthaut, Borel,
Gresley, Billot, Campenon, Lewal, etc... furent ministres de la
Guerre.
L'instauration à la tête de l'armée d'un corps
d'état-major était évidemment très critiquée par les différentes
armes et notamment par les cavaliers. Au lendemain de la guerre
de 1870, dans la réorganisation de l'armée, le corps d'état-major
fut supprimé par le général Farre ministre de la Guerre. Le corps
d'état-major fut le principal accusé de la défaite de la guerre,
incapable d'assumer son rôle globalisant. I1 s'imposera à nouveau
plus tard sous une autre forme.
Si les militaires imprégnèrent la société française
en profondeur, toutefois l'étude systématique du rôle des militaires
dans la vie politique française n'a pas fait l'objet d'une recherche
particulière dans le cadre de cette recherche.
Nous nous sommes limités à présenter la manière
dont la cavalerie s'est organisée de 1789 à 1870 en relevant la
manière dont le cheval devînt l'outil principal et constant de sa
volonté d'organisation.
La cavalerie connu une apogée avec les guerres
impériales. L'action seule commandait.
L'Empire écroulé, l'arme à cheval conserva son
auréole de gloire et figea dans un règlement ce qui lui semblait
être le code de ses victoires. La cavalerie en France vivait à cette
période étouffée sous la poussière des terrains de manoeuvre, par
le règne de formalisme et le triomphe du règlement. Le cheval si
important pour cette arme devînt le héros et le principe de toute
discipline et moralité.
Le Second Empire essaya de réincarner la dynastie
impériale. Les cavaliers se concevaient comme des centaures, en
filiation directe avec leurs valeureux ancêtres. La guerre à cheval
nécessitait des qualités que seule une véritable élite de cavaliers
pouvait affirmer: chacun s'ingéniait à inventer une forme de supériorité
établie sur la noblesse de leurs fières montures.
Nous développons ce chapitre en trois temps. "L'épopée"
qui permettra de voir comment l'arme cavalière se remodelera selon
les données nouvelles de la guerre de masse, sous la République
et l'Empire."L'hippigie" est définie comme l'étude du cheval en
santé et se constitue comme véritable hygiénisme de la cavalerie.
Ce chapître présentera l'évolution difficile de l'arme au cours
de la Restauration et de la Monarchie de juillet. Enfin "la centaurisation"
exposera le curieux rêve des soldats du Second Empire qui crurent
à la scientification de la guerre dès lors qu'ils ne faisaient plus
qu'un avec leurs chevaux.
I - L'EPOPEE
HIPPIQUE (1792-1815)
La Révolution Française a transformé la nature
de la guerre, mais c'est Napoléon qui, pour tout le XIXe siècle
restera comme le maître incontesté en ce nouvel art de la guerre.
Si dans les guerres du Second Empire, on apprendra surtout ce qu'il
ne faut pas faire, dans les guerres de Napoléon, au contraire, les
enseignements sont "substantiels et positifs".
Dans les Mémoires de Napoléon
cette conception est bien définie."On y voit toujours, de lumineuse
façon, ce qu'il faut essayer de faire: et d'abord que la guerre
est un art, un art simple et tout d'exécution partant qu'elle ne
saurait s'enfermer dans d'étroites ou empiriques formules; ensuite
qu'elle est mise en jeu et en équilibre des forces morales, plus
encore que des forces matérielles, par conséquent que l'homme prime
l'arme; enfin, et parce qu'elle est toute d'exécution, qu'elle repose
surtout sur l'énergie des moyens et que "la vraie sagesse pour un
général, sera toujours dans une détermination énergique" (4).
La réflexion politique et militaire s'occupera
pendant tout le XIXe des conditions morales du commandement.
En regard de cet élément moral, cette "partie divine"
de la guerre, l'instruction des troupes passe au second rang des
préoccupations. Pourtant c'est par celle-ci que se transmet et se
généralise la dimension "morale" de la guerre. Le maréchal Marmont
pour expliquer ce phénomène psychologique, dit que les soldats français,
impressionnables et nerveux "vaudront toujours dix fois leur nombre
avec un chef en qui ils ont confiance, et qu'ils aiment".
L'armée révolutionnaire et républicaine est nationale
et improvisée. Le peuple français mis en arme se lève en masse.
L'élan est irrésistible contre l'invasion territoriale. Carnot devînt
le "grand organisateur de la victoire" de cette armée quelque peu
informe. L'armée s'agrandit ensuite et se consolide. Elle est la
"libératrice" du sol français tout autant que des peuples. Sous
le consulat et l'Empire, l'armée devient sous l'instigation de son
chef, devenu Napoléon, conquérante et impérialiste. La "Grande Armée"
mourra finallement de ses excés de gloire.
1. La constitution
des corps
Le Roi et la patrie formaient depuis longtemps
un tout indissociable que le loyalisme général ne remettait pas
en question. Proclamer le "salut de la patrie" était une abstraction
qui passait par la séparation dans les esprits de ces deux principes.
L'émigration désorganisa l'armée régulière, particulièrement
dans la cavalerie. Les officiers quittérent le service dans la proportion
des deux tiers. Pour sa part, le "Royal Allemand" émigra en entier.
L'émigration privait l'armée des anciens officiers, mais au lieu
de compromettre le salut de l'armée et de décourager le soldat,
elle ouvrit un champ vaste à l'émulation. Tel militaire qu'on n'aurait
pas soupçonné capable de commander un régiment apprit l'art de diriger
une armée. Les quartiers de noblesse exigés jusque là furent remplacés
par un certificat de civisme, c'est-à-dire de dévouement au principe
de souveraineté nationale.
L'ordonnance du ler janvier
1791conserve l'organisation de 1788. Quelques officiers de cavalerie
émettent des propositions de réorganisation. Bersiny avait présidé
plusieurs fois le comité rassemblé pour juger des différents points
de l'ordonnance du ler janvier 1791. La commission espère trouver
un moyen pour proposer à la cavalerie un "travail" qui lui garantisse
son "invariabilité". Voilà le voeu simple des administrateurs de
la chose cavalière. Ce besoin de stabilité après plusieurs décennies
de bouleversement dans les références et les doctrines allait pourtant
ruiner la cavalerie républicaine. Heureusement pour elle, jusqu'en
1793 elle s'appuiera encore sur des cadres, gentilshommes de l'ancien
régime tous dévoués à leur compagnie. Mais, peu à peu, devant l'incapacité
politique à réorganiser l'arme, ils désertèrent. Afin que ceux-ci
ne partent pas avec les chevaux dont la cavalerie avait grand besoin,
une épuration des compagnies de leurs nobles et suspects se généralisait
redoublant les manques d'encadrement (a).
Les cadres supérieurs des
armées de la République ne sont pas seulement, selon l'idée reçue,
les sous-officiers de l'armée royale. Ces officiers occupaient principalement
sous l'Ancien Régime des emplois subalternes ou sédentaires. Les
anciens porte-étendards et lieutenants forment la grande majorité
de ceux qui sont parvenus aux grades supérieurs (5).
Après le départ des officiers nobles, les problèmes
étaient de deux ordres: comment remplacer ceux-ci, c'est-à-dire
qui met on au commandement des troupes à cheval ? Comment organiser
ce "corps" et comment le rendre opérationnel ?
Le ler janvier 1791, les noms des anciens régiments
furent remplacés par des numéros. Le 12 septembre 1791, les quatre
compagnies de gardes du corps de la maison du Roi furent supprimées.
Le 5 juillet 1792, l'Assemblée Législative déclare
"la patrie en danger". C'est parmi les volontaires de 1792 que l'on
voit les futurs grands meneurs: Masséna, Augereau, Murat, Kléber,
Hoche, et Marceau. Les régiments de cavalerie virent aussi affluer
beaucoup de jeunes engagés. Les effectifs grossirent tout à coup.
En 1792, la cavalerie comprenait :
- les deux régiments de carabiniers, considérés comme une troupe
d'élite dans la cavalerie,
- les cavaliers à proprement parler
- les dragons,
- les chasseurs qui furent en très grande vogue,
- les hussards, qui avant la Révolution, écrit le capitaine Picard,
"se composaient d'étrangers pris à la solde, que des moeurs suspectes,
des habitudes hardies, semblaient vouer tout exprès aux hasards
d'un service de coureurs ou d'aventuriers de guerre. Il existait
encore dans ces régiments trop d'étrangeté entre les hommes et
trop de disparité entre eux; le langage, les goûts, les moustaches
et les balafres des anciens auraient juré avec l'éducation, les
manières et le teint frais des enrôlés volontaires".
- des corps francs de toute sorte. Ils se formaient eux-mêmes
et prenaient des noms particuliers (les hussards de la Mort, de
l'Egalité, etc...).
Après une période de volontariat, il fallut une
loi pour établir le principe du service obligatoire que pourtant
la Constituante avait condamné en supprimant les milices.
C'est Carnot qui proposa et fut chargé d'exécuter
la réquisition permanente des Français (août 1793). Ce fut la levée
en masse. La cavalerie fut réorganisée en corps plus distincts.
En 1794, la cavalerie comprenait: 29 régiments de cavalerie, 20
régiments de dragons, 23 régiments de chasseurs, 11 régiments de
hussards. Les dragons, les chasseurs et les hussards sont compris
sous la dénomination de cavalerie légère; les 29 régiments de cavalerie
s'appellent eux "la cavalerie".
La cavalerie proprement dite opérait du reste comme
la légère et ne s'en distinguait que de nom. La raison d'être de
cette distinction est floue et semble simplement s'expliquer par
la tradition de sa double origine .
La cavalerie était circonscrite au rôle de protection
immédiate et disséminée dans les divisions. Et jusqu'à la création
des corps d'armée par Napoléon, l'armée ne fut qu'une agglomération
d'un nombre plus ou moins grand de petites unités régimentaires
qui se suffisaient à elles-mêmes.
La tactique se caractérise par les initiatives
individuelles et instinctives des jeunes troupes. Le moule règlementaire
n'était plus trop appliquée et sévère. Chez les deux ennemis, la
guerre se fait en cordon, avec la recherche d'une intensité égale
sur tout le front. L'idée n'était pas encore née d'une concentration
des forces sur un seul point pour briser la résistance et désorganiser
l'ennemi en menacant sa ligne de retraite. Dumouriez eut l'idée
de la concentration stratégique, mais non encore celle de la concentration
sur un point de champ de bataille. Carnot essaya d'appliquer 1'une
et l'autre.
Mais la direction de la Révolution était susceptible
et exigeait l'occupation de tous les villages de la frontière sous
peine d'accusation de trahison. On conserva donc le système en cordon.
La frontière révolutionnaire devait être faite de corps. La République
égalitaire est d'abord une volonté pour assembler un grand corps.
Les rouages de l'armée ainsi divisée en petits
détachements d'une grande indépendance, étaient peu compliqués.
On trouvait facilement des chefs pour les commander et la décentralisation
étant assurée dans une large proportion. On pouvait entrer en campagne
tout de suite sans attendre les combinaisons d'ensemble qui demandent
du temps et beaucoup d'habileté dans l'exécution. On s'en remettait
donc à l'ardeur de chacun et à l'inspiration des commandants de
division. Ceux-ci, compte tenu des circonstances pouvaient être
moins sévèrement choisis et leurs fautes en tout cas ne se ressentaient
pas sur l'ensemble de l'armée.
Le ravitaillement de ces petites unités se faisait
directement sur le pays. Cette méthode était la plus pratique et
la plus souple. Elle contribua à accentuer l'esprit d'offensive.
La nécessité de vivre sur le pays poussa l'armée française à l'invasion.
Stendhal, quelque temps concerné par les affaires
militaires, relate qu'en 1794 "notre sentiment était tout renfermé
dans cette idée d'être utile à la patrie. Tout le reste : l'habit,
la nourriture, le vêtement, n'était qu'un misérable détail éphémère".
L'état général de la cavalerie
était déplorable. Le représentant du peuple Pflieger a bien jugé
la cavalerie mise en place par la Convention. Il l'avait examinée
"sous tous ses rapports". Au cours de son inspection des dépôts
des armées de Sambre et Meuse, du Nord et du Rhin et Moselle, Pflieger
écrivait à son ami Rewbell, le 16 frimaire An IV (7 décembre 1795)
: "J'ai attrapé une fichue commission. Je ne peux assez te dépeindre
le mauvais état dans lequel je trouve la cavalerie de l'armée du
Rhin. Point d'argent, les caisses sont vides. Point de chevaux que
des extenués et malades. Des soldats sans habillements. Point de
remèdes, point de fers pour les chevaux. Enfin je manque de tout.
Ce qui est pire, point de discipline. De mauvais sujets, voleurs.
Des officiers, des sacs à brandevin, qui ne sont bons à rien et
qui sont la cause de notre déroute. Les chevaux fournis sont mauvais,
ne peuvent faire aucun service en partie. D'autres ne sont pas acclimatés:
le moindre service les ruine. Je ne sais plus d'autre moyen que
d'ordonner une levée du cinquantième cheval, que je vous propose,
et, changer le mode d'avancement pour les officiers, surtout des
sous-officiers. Sans cela, il n'y a pas moyen de relever la cavalerie.
Je peux t'assurer que, de vingt deux régiments dont cette armée
est composée, au printemps, il n'y aura pas un escadron en campagne
par régiment" (6).
Pfliéger envoie un mémoire
au gouvernement, en marge duquel il est écrit : "Ce mémoire mérite
une attention particulière". Carnot aurait attiré ainsi l'attention
du gouvernement sur "l'état actuel de la cavalerie de la République
et les moyens les plus probables de la rétablir" (7).
Pfliéger
regrette de ne pas avoir de plan pour l'administration de cette
arme. "L'existence et l'entretien de la cavalerie ont été abandonnés
aux circonstances et au hasard" (8).
Pfliéger insiste pour que le Comité de Salut Public sache un peu
mieux de quoi la cavalerie est faite. Ainsi, il propose avec prudence
que deux ou trois officiers de l'ancien régime viennent à Paris
pour donner au Ministre des notions plus justes. "Il ne faut leur
donner aucune existence en titre, mais les charger de tous les rapports,
et de la partie administrative près du ministre comme simples conseils."
Il suggère enfin l'orientation nécessaire pour réussir le redressement
de cette arme :"La cavalerie doit être composée de l'élite de la
Nation. Pour faire un vrai cavalier, il ne faut pas seulement la
taille, la force et l'aptitude, mais il faut encore des moeurs,
de la vigilance, l'amour du travail et la volonté de la discipline.
Il faut procéder sur le champ à l'épuration de tous les corps, renvoyer
à l'infanterie la plus forte partie des hommes que l'inconstance
et la paresse en ont tirés. C'est la marche que l'on doit tenir
pour tous les jeunes gens des villes, petits maîtres à prétention,
trop occupés de leur personne pour prendre soin de leur cheval"
(9).
Les cadres de la cavalerie ayant émigré ou démissionné
"de toutes les armes, la cavalerie est celle qui a le moins de bons
officiers: on le doit aux différents modes d'avancement qui ont
eu lieu et qui ont porté tous les maîtres ouvriers, les recruteurs,
les blanchisseurs, les maréchaux les trompettes, les vivandiers,
à la tête des régiments par rang d'ancienneté de service depuis
la loi du 20 septembre 1790". Il continue ses critiques. "Les comités
de gouvernement n'ont guère mieux choisi : il est vraiment honteux
de voir par quoi notre cavalerie est conduite."
Pfliéger va enfin à l'essentiel et propose l'épuration
de cette arme de tous les sinistres individus qui l'ont envahie:
"la cavalerie est indispensable à la guerre et à elle seule si elle
est mal dirigée et mal gérée; elle pourra seule engloutir les finances
de l'Etat".
Le représentant du peuple
souhaite alors le renouvellement de la fonction d'inspecteur de
cavalerie: "les inspecteurs doivent étre choisis parmi d'anciens
officiers supérieurs dont les services impriment le respect et la
déférence; leurs connaissances doivent s'étendre sur toutes les
branches de l'administration de la cavalerie parce que leurs fonctions
les comprennent toutes" (10).
Pfliéger sollicite donc, après le constat de faillite
de la cavalerie de la Convention, de reprendre des cavaliers nobles,
anciens officiers supérieurs de la couronne. Il lui semble que ce
serait une bonne garantie pour pallier le délabrement constaté de
la cavalerie. Pour mieux appuyer sa proposition Pfliéger décrit
qu'il "faut des hommes froids, justes, clairvoyants, incorruptibles,
fermes et sévères, leur autorité doit avoir une grande latitude
car les abus qu'ils ont à réprimer sont immenses".
Pfliéger est convaincu que "l'anéantissement et
la perte de nos chevaux ont une infinité de causes, qui toutes découlent
de l'ignorance et de l'indiscipline".
Ce rapport au Directoire donne un vif aperçu de
la situation désastreuse que la Convention avait laissée derrière
elle. Dans l'emploi de la cavalerie en campagne, le commandement
était devenu incapable de prévoir la fiabilité des officiers dans
les opérations. Le commandement prend dès lors l'habitude de toujours
faire faire les reconnaissances par ses officiers d'état-major au
détriment des officiers des régiments. Une proportion considérable
des officiers d'état-major provient des rangs de la cavalerie.
En ce qui concerne l'instruction des cavaliers,
elle se fait de fait véritablement en présence de l'ennemi. Gouvion
Saint-Cyr (1764-1830), futur ministre de la guerre de Louis XVIII,
fait remarquer dans ses mémoires, que "c'est le contact prolongé
avec la cavalerie prussienne, pendant la période de ralentissement
des hostilités précédant le traité de Bâle, qui a instruit les troupes
à cheval des armées du Rhin et de la Moselle".
Toutefois, par exemple, le jour de la bataille,
à l'armée du Rhin sur 5000 cavaliers, on est obligé de faire sortir
1500 recrues du rang parce qu'elles ne savent pas monter à cheval
et leurs montures ne sont pas dressées.
Sous le Directoire, on s'essaya à la paix. Le traîté
de Bâle était signé en 1795 par la presque totalité des puissances
coalisées reconnaissant la démarcation des frontières de la nouvelle
république française. Ce fut une époque de désarmement. Mais ce
fut aussi l'occasion de tirer les leçons des années précédentes.
En 1796, on commençait à voir la nécessité d'avoir
des masses de cavalerie en avant des armées pour le renseignement.
Dans ce but, les généraux en chef, Hoche d'abord, Moreau, Jourdan,
puis Bonaparte, enlevèrent à chaque division son régiment de cavalerie
pour en faire des brigades et des divisions de réserve. Ces corps
de cavalerie formaient une force à la disposition exclusive du général
en chef. L'infanterie n'ayant plus d'escadron à sa disposition ne
recevait donc de nouvelles des positions ennemies que du général
en chef. Napoléon écrivit que l'infanterie perdit de ce fait le
moral en "devenant impressionnable et inquiète". I1 en conclura
que l'infanterie doit être pourvue d'une cavalerie pour sa protection
immédiate.
Le Directoire organise deux aspects dont le Comité
de Salut Public avait signalé la carence : la surveillance des corps
à cheval par des inspecteurs, et la remise sur pied d'une école
d'instruction des troupes. Le Comité de Salut Public avait déjà
décidé la création d'inspecteurs généraux dans chaque armée. Mais
ce fut Petiet, en conformité avec le voeu du Directoire, qui arrêta
le texte d'une instruction, le ler ventose An IV (20 février 1796)
sur les fonctions des inspecteurs de la cavalerie.
Les inspections commençaient par une revue des
régiments qui avait concrétement pour objet les six missions suivantes:
- "de constater le nombre et d'examiner l'espèce d'hommes et de
chevaux qui composent les corps
- de voir si les recrues et les hommes de la première requisition
sont d'une bonne qualité
- de voir si les chevaux de remonte sont de l'espèce convenable
à l'arme dont sera le corps
- de connaître en quel état sont toutes les parties de l'habillement,
de l'équipement des hommes et des chevaux,
- de connaître la situation des caisses et de l'administration,
- d'examiner l'instruction du corps".
Lors de l'examen par l'inspection, les régiments
manoeuvraient d'abord en détail, puis en masse, les officiers et
sous-officiers étant appelés à exercer les fonctions de leur grade
et celles du grade supérieur. Bref, le gouvernement de la république
arrivait à imposer une surveillance draconnienne à une arme qui
ne l'aurait jamais accepté sous l'ancien régime.
Par les rapports détaillés des inspecteurs, le
ministre connut à chaque instant l'état véritable des troupes à
cheval, leurs besoins de toute nature et les mesures les plus propres
à les satisfaire. Cela fonctionnait tellement bien que le pouvoir
des inspecteurs fut renforcé en 1797. Chaque inspecteur devait aller
plus loin et plus précisemment :
- "surprendre un corps, c'est-à-dire chercher à le voir subitement,
tel qu'il est (...)
- passer en revue préparatoire tout le corps rassemblé, sous les
armes (...)
- passer une seconde revue, dans laquelle il constatera et examinera
dans les plus grands détails l'espèce des hommes et des chevaux
dont le corps est composé (...)
- faire exercer et manoeuvrer le corps en masse (...)
- chercher à conna1tre quel est l'esprit, la moralité de tout
le corps (...)".
Le "corps" devient une véritable
entité vivante et infiniment détaillable par le gouvernement qui
peut le défaire et le refaire ainsi à sa guise. "Il est en effet
nécessaire de bien connaitre les rouages multiples d'une institution
dont le fonctionnement permet à l'Etat d'être en repos, de repousser
les injures, de défendre les lois, la religion et la liberté" (11).
La bonne santé des corps est le but essentiel du
gouvernement. Mais la perfection est difficile à atteindre. Le Comité
de Salut Public, puis le Directoire, sont hantés par cette exigence
d'autant plus ardente que la réalité est loin d'y correspondre.
Un tour d'horizon de la cavalerie peut-être donc fait à partir des
rapports des inspecteurs, ces observateurs de "corps".
"Le général n'a pu juger
que faiblement des manoeuvres n'ayant vu qu'un escadron, faute de
terrain et d'hommes en état d'y entrer". Kellermann à la revue du
14e régiment à Avignon, le 2 Prairial An II disait : "Les hommes
ne sont pas beaux. Il n'y a pas eu de quoi compléter la compagnie
d'élite en anciens : les recrues sont mal choisies, trés difficiles
à dresser faute de bonne volonté dans les uns et d'intelligence
dans les autres" (12).
Le même Kellermann (1745-1820),
vainqueur de la bataille de Valmy le 20 septembre 1792 et qui réprima
l'insurrection lyonnaise de 1793, se plaignait encore en inspectant
le IIe régiment de hussards à Turin que "l'espéce des anciens soldats
est fort belle en général, mais les recrues nouvellement armées
sont peu propres à soutenir la beauté du corps" (13).
Le général Berruyer, inspecteur général de la cavalerie
des armées des Alpes et d'Italie, adresse un mémoire daté du 10
Prairial An V (29 mai 1797) au Directoire: "On ne peut pas se dissimuler
que nos troupes, victorieuses partout, ne sont pas ce qu'elles doivent,
ce qu'elles pourraient être".
Berruyer expose alors les
causes connues de cet état de fait. Le reméde qu'il propose instamment
est de "profiter des premiers moments de la paix pour s'occuper
à rétablir la cavalerie, ce qui sera plus difficile que s'il fallait
former de nouveaux corps, parce qu'il faudra détruire les abus et
rompre les mauvais plis des corps existants (...). La cavalerie
qui existe en France est absolument nulle et par le défaut des chevaux
et par le défaut des hommes. Il faut s'occuper sans délai de cette
instruction sans laquelle la cavalerie deviendrait pour l'Etat infiniment
plus coûteuse sans pouvoir étre utile" (14).
Là encore Berruyer rappelle la valeur des écoles
de l'ancienne Monarchie.
Les autres inspecteurs de
cavalerie font les éloges de "l'esprit de corps", lorsqu'ils constatent
la présence d'un chef "qui par son zèle, ses connaissances, son
excellente moralité, montre à tous le bon exemple, lorsqu'ils le
voient secondé par des officiers qui vivent dans une étroite union
et savent concilier l'attachement de leurs subordonnés. Ils attachent
tant de prix à cette harmonie et à cet ensemble de pensées et d'efforts,
qu'ils en font la base de la bonne organisation d'un corps" (15).
Ainsi toutes les inspections relatent les difficultés
d'organisation et mettent en avant le rôle des chefs révèlateurs
de "l'âme" de son régiment.
Mais l'instruction équestre des cavaliers est aussi
déplorable. Tous les inspecteurs le constatent. Ils disent que les
hommes ne tiennent à cheval que par habitude et que seulement la
pratique de la guerre leur donne une certaine solidité, mais n'en
fait point des cavaliers.
A propos des manoeuvres, les inspecteurs notent
que même des "corps" qui ont bien servi à la guerre sont incapables
de manoeuvrer: "Ce corps qui a parfaitement servi à l'armée, n'a
aucun degré d'ensemble. Les détachements multipliés et l'impéritie
du chef de brigade en sont cause". Ainsi s'exprime l'inspecteur
Bourcier à propos du 8ème chasseurs à cheval. L'équitation manque
aux cavaliers pour être ce que l'on attend d'eux tant dans l'allure
que pour les effets d'ensemble.
2. La remise
en selle des corps : l'école nationale d'équitation
En 1804 est édité le dernier
ouvrage du baron de Bohan; la question des haras y est discutée
en priorité pour les raisons d'urgence que l'on connait, mais l'auteur
discute aussi des problèmes de l'instruction de la troupe. "Si l'art
de monter à cheval est celui qui donne la position que l'homme doit
prendre et conserver sur le cheval pour y étre avec le plus de solidité
et d'aisance si cet art est celui qui donne au cavalier les moyens
de soumettre à sa volonté la force et la vitesse du cheval, on ne
contestera plus sans doute la nécessité d'attacher cet art à la
cavalerie" (16).
Pour l'instruction, on est loin des académies pour
gentilhommes. On se sert d'un cheval de bois pour apprendre aux
recrues à seller, desseller, brider et charger. On les exerce à
monter rapidement à cheval au boute-selle. "La science de l'équitation
s'était perdue" dit-on et i1 n'y avait plus d'enseignement qui puisse
entretenir un noyau d'officiers compétents. Les institutions avaient
pratiquement toutes disparues. En 1792, le manège des pages à Versailles
existait toujours avec ses chevaux et les meilleurs instructeurs
du royaume.
Le Sieur de la Bigne (1743-1825)
avait proposé, en se nommant Labigne, la reconversion du manège
en Ecole nationale d'équitation. Faisant droit à cette requête,
la Convention laisse subsister le manège de Versailles. Jusqu'en
1796, des jeunes "gens de conditions" venaient toujours y prendre
des leçons d'équitation. Parmi ces jeunes gens se trouvait le futur
écuyer du Roi Louis-Philippe: le comte de Strada. Les aides de La
Bigne, Jardin ainé, Jardin jeune, Coupé et Gervais, l'aidaient à
continuer un enseignement académique. En 1793, il émigra et laissa
aux deux "instituteurs en chef", Coupé et Jardin ainé, la destinée
de l'école avec ses chevaux (elle en comptait 137 en 1796) (b).
Les pouvoirs publics proposèrent sous le Directoire
que les troupes à cheval bénéficient d'une manière permanente de
l'enseignement du manège de Versailles et le 16 fructidor An IV
(2 septembre 1796) un arrêté, transformait le manège en une école
nationale d'équitation, reprenant ainsi le projet de la Bigne.
L'arrêté ordonnait à chaque régiment de troupes
à cheval d'envoyer à l'école un officier, du grade de lieutenant
ou de sous-lieutenant et un sous-officier. Les candidats devaient
être choisis par les conseils d'administration des régiments et
devaient remplir les conditions suivantes: savoir lire et écrire
et "réunir au goût de l'équitation, les qualités physiques nécessaires
pour devenir habile en cet art", avoir entre 18 et 22 ans et contracter
un engagement de remplir les fonctions d'instructeurs pendant trois
ans dans le corps d'origine. Ce cours était fixé à dix huit mois.
"On cherchera à atteindre dans cette école toute la perfection possible
dans les évolutions militaires".
L'école ne tarda pas à former des instructeurs
versés à la fois dans l'art de l'équitation et dans la connaissance
théorique et pratique des manoeuvres de cavalerie. Ces instructeurs
commencèrent à répandre dans l'armée, dés 1799, une doctrine sûre
et une uniformité de méthode bénéfique. Devant cette réussite, le
Directoire ordonna la création de deux nouvelles écoles d'instruction
des troupes à cheval, établies à Angers et à Lunéville.
Le baron de Bohan résume
très bien l'état d'esprit qui prédominait dans la cavalerie à l'aube
du XIXe siècle? "L'art de la cavalerie consiste donc à obtenir du
cheval toute la vitesse et toute la force dont il est susceptible,
et à donner au cavalier les moyens de maîtriser et de diriger cette
vitesse et cette force au gré de sa volonté. L'homme et le cheval
arrivés à ce point doivent avoir un accord de position et de mouvements,
qui de ces deux individus n'en forme plus qu'un seul; de même l'assemblage
de ces deux individus doit former les troupes ou escadrons dont
la force générale doit être la somme totale des forces individuelles
" (17). Bohan
énonce aussi clairement le principe du fonctionnement du corps de
la cavalerie, qui ne doit être qu'un, avec une volonté, une âme:
Le corps gouverné par la République doit étre uni et vertueux. L'esprit
de corps tant recherché est enfin trouvé et l'équitation en est
le principe. Bohan sent très bien la nouveauté
de son explication. Il exprime aussi bien l'exploitation militaire
qu'il est possible d'en tirer: "la cavalerie de toutes les nations
est l'arme la moins avancée pour les connaissances et le progrès;
elle n'est encore qu'un assemblage d'hommes et de chevaux, on dirait
que l'art et la science qui doit la préparer et développer ses forces
est encore à créer" (18).
Bohan ne s'arrête pas là;
il a une vision très claire du rôle politique de la question chevaline.
"On ignore jusqu'à quel point le Gouvernement peut commander, restreindre
et prohiber; mais on sait qu'avec la confiance qui l'entoure, il
peut tout obtenir des Français" (19).
Bohan trace donc très pertinemment le rôle de la cavalerie impériale
tel que l'Empereur sut l'utiliser. D'autres réflexions, plus connues
aujourd'hui conforte ce renouveau stratégique qui nécessite une
cavalerie permanente.
Guibert, théoricien français
célèbre, ne vit point la mise en pratique de ses idées car il meurt
prématurément en 1790 à l'âge de 47 ans. C'est lui qui prédit, bien
avant Clausewitz, que la guerre allait changer de nature à partir
du moment où les soldats seront citoyens et les citoyens soldats.
La guerre devient dès lors la querelle des peuples et non plus seulement
celle des ministres ou souverains. "Dans la cavalerie, il faut manoeuvrer
en grand pour savoir manoeuvrer. Un des plus grands inconvénients
de la faiblesse de nos régiments, est qu'ils n'ont pas l'habitude
des grandes manoeuvres; c'est qu'ils sont exercés sur de trop petits
fronts; ainsi quand il faudra manoeuvrer en ligne, et la cavalerie
étant portée sur le pied de guerre, les chefs d'escadron et de régiments
se trouveront perdus dans des proportions auxquelles ils ne sont
pas familiarisés. Il leur faudra du temps, malheureusement peut-être
des échecs, pour se former la tête et le coup d'oeil. C'est la même
raison qui milite si fortement pour que la cavalerie soit entretenue
sur le même pied qu'à la guerre" (20).
Guibert est conscient de la nécessité d'adapter
les armées aux nouvelles dimensions spatiales de la guerre. Les"échecs"
et les "revers" qu'il prévoyait avaient été le lot des armées de
la République. En paix, la préparation active, sur des bases concrétes
et équivalentes des mouvements de guerre donne aux armées de Napoléon
les atouts maîtres que l'Empereur exploitera. Ainsi les opérations
et démonstrations préalables à la bataille sont devenues aussi décisives
que la bataille elle-méme.
3. La manipulation
des corps
Lors de son avènement, après le coup d'Etat du
18 Brumaire (9 novembre 1799), Bonaparte monte à cheval pour haranguer
la troupe. Or, le premier consul ne connaissait pas, l'animal natif
d'Espagne et particulièrement fougueux que lui avait prêté au dernier
moment l'amiral Bruix (1759-1809).
Bonaparte déclame sa première
phrase. Surprise, sa monture fait un écart, pointe et volte de sorte
que son cavalier n'est plus occupé qu'à garder son équilibre. Le
discours est interrompu. Les grenadiers regardent la scène. Que
va-t-il advenir de ce pouvoir fraîchement conquis et encore bien
fragile si celui qui le détient vide les étriers ? Les foules sont
sensibles au symbole que représente ce genre d'incident. Le cheval
heureusement finit par se calmer et l'aventure se termina bien (21).
Si le premier Consul changea la manière de faire
la guerre, Napoléon développera considérablement les propriétés
stratégiques et tactiques existantes de la cavalerie. Il en fera
dès lors son instrument de domination. Sur le champ de bataille,
comme pour sa politique, ce qui compte c'est, comme il aimait à
le rappeler, la recherche des décisions.
Les corps d'armée sont créés et remplacent définitivement
les divisions mixtes (camp de Boulogne, 1803-1805). En mars 1802,
le traité d'Amiens met fin à toutes les hostilités et cette trêve
permet au premier consul de réorganiser son pouvoir militaire.
Napoléon conçoit l'emploi de la cavalerie par masse.
Il y distingue en méme temps le rôle spécial à attribuer à chaque
subdivision de l'arme. La grosse cavalerie retrouve un rôle déterminant.
En 1803, elle reprit le casque et la cuirasse qui avaient été délaissés
sous Louis XIV. Elle représente dans l'ensemble de la cavalerie,
la puissance. "Elle est dans ce grand corps, le bras qui frappe
pour détourner les coups portés aux yeux percants de la légère".
La grosse cavalerie permet en imposant sa puissance à la "légère"
d'explorer le front et ainsi de jouer son rôle éminent de renseignement.
Napoléon pour faire agir sa cavalerie en masse,
la divise en deux :
- une cavalerie des corps d'armée, composée de la cavalerie légère
(brigade ou division)
- la réserve de cavalerie composée de divisions que Napoléon tient
"dans sa main" pour s'en servir soit dans l'exploration, soit
dans le combat, soit dans la poursuite, selon les circonstances.
I1 considère cette réserve comme bien à lui, il
l'économise sachant qu'il n'en aura jamais assez pour l'acte décisif.
Le commandement de cette
réserve est généralement donné à Murat, mais cela ne veut pas dire
qu'elle agit toujours unie. Murat centralise la direction des détails
d'organisation et de discipline. En marche et au combat, Murat en
commande le groupe le plus important, mais il a très peu d'initiative.
L'Empereur le dirige et le contrôle. Napoléon pénétrera chaque détail
sans jamais perdre de vue l'ensemble. Si cette centralisation fut
la raison de sa domination, elle fut aussi celle de sa ruine. Des
généraux deviendront, sans lui, incapables d'initiative heureuse.
Bref, la cavalerie de réserve est l'exemple type du coursier, entre
les mains de son maitre: "Prête à s'élancer, cette cavalerie mâche
son mors sous les doigts serrés de ce maitre qui laisse parfois
s'allonger les rênes, mais ne les abandonne jamais" (22).
Le 11 octobre 1806, l'Empereur
est certain d'une concentration ennemie vers Iéna et Weimar: "Mais
l'ennemi va-t-il se maintenir sur son flanc derrière la Saale, en
profitant de ce rideau; n'est-il pas déjà en route pour Leipzig
et vers l'Elbe? A la cavalerie de savoir. Et maintenant il ne s'agit
plus de reconnaitre un point fixe peu éloigné; on la lance en plein
galop à la recherche de l'ennemi, où qu'il soit..." (23).
L'Empereur a comme préoccupation majeure de concentrer
toutes ses forces pour le combat. Savoir rassembler ses forces,
tout subordonner à la nécessité d'obtenir une victoire décisive,
telle est la condition première de toute stratégie efficace et rationnelle.
La cavalerie sert à repérer où se trouve l'ennemi et, en informant
le commandant en chef, à orienter le reste des forces vers l'objectif
précis du combat. d'une armée oblige l'accroissement des masses
d'exploration et la plus grande ampleur de leur action. Plus l'effectif
de l'armée est considérable, plus sa profondeur s'agrandit, plus
il lui faut d'espace et de temps pour prendre ses dispositions de
combat, d'où la nécessité d'aller chercher le renseignement le plus
loin possible. C'est le but de l'exploration de la cavalerie. Et
cette cavalerie prend tous les aspects d'un animal dirigé par un
maître vers lequel il revient avec les réponses aux questions posées.
Napoléon savait que l'avantage
reste toujours à celui des adversaires qui sait garder la dernière
réserve. Cet art de conserver des réserves fut érigée en un véritable
savoir militaire caractéristique de la nation française: "Dans l'art
de la guerre, Napoléon est resté le maître". Si dans l'histoire,
1805 et 1806 apparaissent comme la plus géniale manifestation de
l'art de la guerre, 1813 et 1814 offrent en surcroît la plus extraordinaire
affirmation de la puissance morale'' (24).
La
cavalerie sans étre la force massive et centrale de l'armée, reste
néanmoins cette puissance indispensable pour voir et achever l'ennemi.
"L'infanterie a besoin de la cavalerie pour s'éclairer, se flanquer,
couvrir ses mouvements, compléter ses succès... Cette arme doit
étre considérée comme les yeux et les jambes d'une armée" (25).
(c)
La cavalerie va de même
sous les ordres du commandant en chef : "La masse de cavalerie qui
marche en avant d'une armée, n'a qu'un but: pénétrer jusqu'au corps
d'avant garde de l'ennemi et le forcer à se déployer pour le reconnaître.
Elle devra auparavant anéantir la masse de la cavalerie adverse
qui jouera le même rôle, et pour cela se présenter au combat bien
réunie. Les deux cavaleries se trouveront une première fois en présence:
la plus nombreuse, la mieux instruite et la mieux dirigée aura l'avantage.
Elle poussera alors en avant jusqu'au corps d'avant-garde ennemi
qui aura recueilli sa propre cavalerie; si dans cette seconde rencontre
il n'y a pas de choc, la cavalerie victorieuse prendra du moins
les dispositions nécessaires pour forcer l'infanterie à se déployer
et pouvoir faire la reconnaissance. Ainsi, en avant des armées,
le choc se produira deux fois: cavalerie contre cavalerie, cavalerie
contre avant-garde. Il se produira en outre sur le champ de bataille
sur le front ou sur les ailes, suivant la place des troupes de cette
arme et dans des conditions analogues cavalerie contre cavalerie
ou cavalerie contre infanterie" (27).
La cavalerie tâche de découvrir les mouvements
de l'ennemi pour permettre au général en chef de deviner la pensée
de son adversaire. La cavalerie réétablie joue ce rôle dans la main
de ces chefs.
4. L'honneur
Un ancien élève de la Guérinière,
Gratian Merlet avait écrit à la fin de sa vie un manuel de cavalerie
édité en 1803. Il rappelle que la tactique et l'art militaire ne
sont rien si les cavaliers dont l'on se sert ne savent pas monter
à cheval. "Si le cavalier n'a pas une tenue assurée et aisée et
qu'il ne sache pas conduire son cheval, le premier ennemi qu'il
a à combattre, il s'expose à perdre la vie et même l'honneur qui
doit lui être bien plus précieux encore (28).
En effet ce qui intéresse
tous les cavaliers et chacun d'entre eux, c'est "l'honneur et la
vie", "l'un et l'autre lui donne l'aisance et l'aisance assurant
l'aplomb, lui donne la facilité de combattre avec adresse" (29).
Frédéric Masson sera à la
fin du XIXe siècle membre de l'Académie française et un des plus
fervents apologistes du ler Empire et propagandiste de cette idéologie
de l'honneur: "Le cheval est un des éléments des plus importants,
le plus important peut-être, fourni par les classes de la société
qui hier encore étaient les classes privilégiées et qui restent
les classes bien élevées, A cet élément viennent se mêler, et si
étroitement que nulle puissance au monde ne pourra plus disjoindre,
les éléments sortis du peuple, mais des éléments d'une virilité
et d'une intelligence supérieure: car les jeunes hommes qui volontairement
s'enrôlent dans la cavalerie ont vraiment la vocation. Ils ont la
plupart la passion du cheval. Ils sont familiers avec lui dès l'enfance
par métier ou par goût. Ils savent s'en servir et le ménager. Vite,
ils acquièrent par le cheval la connaissance du métier car ils sont
lestes, adroits, intelligents et forts. Au frottement avec les camarades
d'une éducation supérieure, ils comprennent ce qui leur manque et
la plupart l'acquièrent vite. Si leurs manières pêchent par quelque
point, ils le rachêtent sur le champ de bataille; d'ailleurs, ils
peuvent ne point être bien élevés, mais ils ne sont pas communs"
(30).
Ces hommes "peu communs",
sont appelés par d'autres la "race des hommes d'action". Avec la
cavalerie de l'Empire naît un mythe: ce mythe fut fondateur de nombreuses
institutions caractéristiques de la France. Masson raconte notamment
la cérémonie de retour des cendres de l'Empereur: "lorsque, à minuit,
l'Empereur mort passe aux Champs Elysées, la grande revue de ses
compagnons, et que brandissant le sabre ou la lance dans leurs mains
de rêve, hurlant de leurs bouches d'ombre des cris que nul vivant
ne perçoit, les cavaliers défilent d'un galop d'enfer; à mesure
qu'ils débouchent du nuage et pendant qu'ils sont devant lui, il
se découvre et il les nomme. Pareils à des entités sublimes incarnées
en des spectres, on voit leurs uniformes grisâtres, dont la tombe
et la nuit ont éteint les couleurs, mais on ne voit point leurs
visages. Nul d'eux ne porte sa propre gloire; pour tous ensemble
il n'y a qu'un nom, un nom commun et collectif, celui du corps où
ils ont servi et combattu. Et ce nom trouvé et prononcé par lui
suffit pour qu'ils soient immortels. Grenadiers, cuirassiers, chevau-légers,
dragons, chasseurs, hussards, gardes d'honneur, ils passent dans
le rêve à ce point grandis par l'imagination des peuples à ce point
héroïques et superbes que nul soldat des temps passés ne sont pour
leur être comparés, qu'ils emplissent et bouchent l'histoire. Ils
ont été les derniers chevaliers. Avant que la guerre se transformât
de façon à rendre en théorie presque nul 1'effort individuel avant
que par la perfection des moyens de détruire, elle ne prit, au moins
sur le papier et dans les livres - car nul ne sait ce que donneraient
les faits - ce caractére de sauvagerie scientifique qui prohibe
le développement des vertus personnelles, il s'est trouvé un espace
de vingt années où l'homme a donné un libre jeu à ses instincts
de combativité, a montré ce que son coeur peut contenir de dévouement
et d'abnégation, a mis l'intelligence la plus aiguisée au service
de la force brutale la mieux exercée; et il a ainsi clôturé l'âge
héroîque par le plus magnifique des poèmes" (31).
Un autre auteur de la fin
du siècle, Jaquier, disait plus prosaïquement à propos de la cavalerie
française sous l'Empire, qu'il fallait "étudier ce qui a été fait
pendant cette grande époque", car "elle offre plus qu'un simple
intérêt historique: c'est encore la meilleure école où nous puissions
apprendre ce qu'il faudra faire un jour" (32).
A propos de la déroute de Waterloo, Stendhal raconte
dans la Chartreuse de Parme :
"Le caporal les éveilla une heure avant le jour;
il leur fit renouveler la charge de leurs armes, le tapage sur la
grande route continuait et avait duré toute la nuit: c'était comme
le bruit d'un torrent entendu dans le lointain.
- Ce sont comme des moutons qui se sauvent, dit Fabrice au caporal
d'un air naïf.
- Veux-tu bien te taire blanc-bec! dit le caporal indigné; et
les trois soldats qui composaient toute son armée avec Fabrice
regardèrent celui-ci d'un air de colère comme s'il eût blasphémé.
Il avait insulté la nation.
Voilà qui est fort ! pensa notre héros, j'ai déjà
remarqué cela chez le vice-roi à Milan, ils ne fuient pas non !
Avec ces Français il n'est pas permis de dire la vérité quand elle
choque leur vanité. Mais quant à leur air méchant, je m'en moque,
et il faut que je leur fasse comprendre. On marchait toujours à
cinq cents pas de ce torrent de fuyards qui couvraient la grande
route. A une lieue de là le caporal et sa troupe traversaient un
chemin qui allait réjoindre la route et où beaucoup de soldats étaient
couchés. Fabrice acheta un cheval assez bon qui lui coûta quarante
francs, et parmi tous les sabres jetés de côté et d'autre, il choisit
avec soin un grand sabre droit. Puisqu'on dit qu'il faut piquer,
pensa-t-il, celui-ci est le meilleur. Ainsi équipé, il mit son cheval
au galop et rejoignit bientôt le caporal qui avait pris les devants.
Il s'affermit sur ses étriers, prit de la main le fourreau de son
sabre droit, et dit aux quatre français : les gens qui se sauvent
sur la grande route ont l'air d'un troupeau de moutons... ils marchent
comme des moutons effrayés...
Fabrice avait beau appuyer sur le mot mouton, ses
camarades ne se souvenaient plus d'avoir été fachés par ce mot une
heure auparavant.
Ici se trahit un des contrastes des caractères
italien et français; le Français est sans doute le plus heureux,
il glisse sur les événements de la vie et ne garde aucune rancune.
Nous ne cacherons point que Fabrice fut très satisfait de sa personne
après avoir parlé des moutons".
STENDHAL, La Chartreuse de Parme, Garnier, Flammarion,
éd. 1964, pp. 87-88.
La cavalerie napoléonnienne
et impériale permis à des cavaliers issus de toutes les classes
de la société d'accéder à ce bien si précieux aux yeux des Français:
l'honneur. Cette glorification légitime la fondation d'une nouvelle
noblesse, avec une dimension idéologique particulière qui se développera
ensuite dans les milieux politques et militaires. "Il faut que le
soldat sache qu'il est de race illustre, il faut qu'il sache que
celui qui sert bien son pays n'a pas besoin d'aïeux. Je suis ancêtre!
disait un soldat de Napoléon" (33).
II - L'HIPPIGIE
(1815-1852)
Après l'Empire qui avait envoyé sa cavalerie dans
toute l'Europe sans aucun règlement, vînt l'heure d'écrire mémoires
et principes. Le règlement se personnalisa à tel point que l'on
parlait de "lui" et de son action, de ce qu'il pense et de ce qu'il
ne désire pas.
Le règlement de 1829, par exemple, permettait par
sa forme, à tout individu doué de mémoire et de bonne volonté de
se croire et surtout de se vouloir instructeur. On en était arrivé
à tellement préciser la manière de faire les plus petites choses,
que la récitation de la théorie devenait le moyen le plus commode
de noter et de classer les gens. Si on pratiquait mal, on était
excusé, pourvu qu'on eut bien dit. Les classes d'instruction étaient
assurées par les sujets qui disaient bien et pratiquaient le mieux,
mais l'obligation de dire selon certaines règles de convention primait.
En l'absence de chef, le règlement devenait le corps du chef, prévoyant
tout dans le détail. A l'origine de cette règlementation: les anciens
soldats de Napoléon.
1.
Le "bovarysme" réglementaire (d)
L'ordonnance de 1829 est un premier essai de reconstitution
des idées militaires que l'on croyait être celles de l'Empereur.
De "l'avis du règlement" de 1876, elle était dans
son principe une sorte de vade mecum à l'usage des instructeurs;
elle prétendait surtout à un exposé d'exercices rudimentaires et
accessoires: mais par suite d'une déviation progressive, ces exercices
étaient devenus la chose principale, puis l'unique but de l'instruction
des troupes.
Cette ordonnance représentait bien une oeuvre dédiée
à la mémoire; de là un engouement irréfléchi pour l'étude littérale
du texte et un oubli des principes sous-jacents. "Nos anciens règlements
de manoeuvre se distinguaient encore par une grande précision de
détails qui en réalité ne sont que la description minutieuse de
figures géométriques ccrrespondant à chaque mouvement; les mouvements
y ont été créés pour la surface plane et symétrique d'un terrain
de manoeuvre et convention; et, en partant de cette base, la symétrie
a enfanté les combinaisons les plus variées propres à satisfaire
le coup d'oeil, mais étrangères aux besoins réels de la tactique.
L'expérience démontre que cette prévision énorme de combinaison
n'aboutit qu'à l'embarras".
Une riche bibliothèque de mémoires de guerre nous
est transmise par les vétérans de l'Empire. Mais il est surprenant
que les éclats de campagne présents dans tous les esprits aient
enfanté un règlement aussi statique. Le Président de la commission
chargée de l'élaboration du nouveau règlement de 1829 était le général
Oudinot (1791-1863), fils du maréchal (1767-1847). Le général Oudinot
avait aussi fait les campagnes d'Empire. Pourtant le règlement de
1829 est une véritable école de formalisme et très éloignée des
leçons tirées de l'action. Cette situation n'échappe pas à certains.
Les paroles du Général Morand
en 1829 à propos de l'ordonnance ne furent point entendues: "Il
faut réduire l'ordonnance à quelques pages, rejeter tout ce qui
est inutile et au lieu de fausser l'esprit des officiers et de charger
leur mémoire par une mauvaise étude, faire en sorte qu'ils n'appliquent
leur attention que sur ce qu'il faut faire sur le champ de bataille"
(e).
Le général du Barail, dans
ses mémoires, s'exprime ainsi en parlant de l'ordonnance de 1829:
"mon hostilité contre le règlement de 1829 datait du jour où pour
la première fois, j'avais un peloton de cavalerie sous mes ordres,
et au fur et à mesure qu'avec le nombre de galons sur mes manches,
avait crû le nombre des hommes et des chevaux qui obéissaient à
ma voix, j'avais senti croître aussi mon horreur pour ce fatras
théatral de commandements et d'exercices enchevêtrés qui ne pouvaient
aboutir qu'à des désastres sur le terrain des combats" (34).
Le respect des barettes était causé directement
par la terreur du règlement. La lettre se substituait à la force.
Le littéral remplaçait l'initiative. Une mémoire bien cultivée en
tenait lieu quand sans respirer, on récitait les principes du galop,
on était alors sacré sujet d'avenir. "Combien sont arrivés grâce
à ce littéral aux plus hautes situations militaires sans autre mérite
qu'une mémoire exceptionnelle!"
Une anecdote est légendaire
à Saumur: un général inspecteur avait demandé à un élève lors de
l'examen de sortie quel était le mot qui ne se trouvait qu'une fois
dans la théorie. Tout le monde resta stupéfait devant une question
aussi inattendue. Le général fanfaronnant répondit que c'est le
mot "nonobstant'' à l'article II de l'école d'escadron qui est ainsi
conçu: "lorsque la marche oblique doit s'exécuter du côté opposé
au guide, les serre-files conservent leur place, nonobstant le changement
du guide"; il ajouta : "Vous voyez bien que vous ne savez pas votre
théorie" (35).
2. Revenir
à la position équestre
Le
marquis Ducroc de Chabannes, ancien officier de cavalerie de l'ancien
régime, avait été rappelé en janvier 1815 à Saumur pour y enseigner
l'équitation dans cette école renouvelée sous le commandement du
général de la Ferrière. Ducroc de Chabannes fut élève de d'Auvergne
et à ce titre il enseignait la perfection de l'assiette, base de
son enseignement. Il observait qu'il serait chimérique "d'espérer
faire manoeuvrer des troupes à cheval avec ensemble et régularité
si les hommes dont elles se composent ne savent pas monter à cheval.
Autant vouloir organiser un concert avec des individus qui ne sauraient
jouer de leur instrument" (36).
Tout est dit par Ducroc de Chabannes pour lequel l'assiette du cavalier
est l'assiette de la cavalerie (f).
Les représentants de la cavalerie royale assurèrent la transition
équestre aussitôt reprise par de nouveaux théoriciens qui reformuleront
les savoirs reçus à l'aune de leurs expériences militaires. Il leur
apparut qu'uen nouvelle science devait être formulée pour le commandement.
En 1815, l'équitation est en grande partie l'affaire
des anciens cavaliers du Premier Empire. Ceux-ci mettaient fréquemment
sur le même plan les problèmes d'organisation de la cavalerie et
ceux de l'équitation. L'art de placer les escadrons avant la charge
et l'art de les manoeuvrer nécessitaient des commandements précis
postulant que les cavaliers étaient maîtres de leurs chevaux On
parlait d'un art de diriger "les masses". Le corps de la cavalerie
était pour le chef ce que le cheval représentait pour son cavalier.
La "position naturelle" de la cavalerie se pensait comme "la position
naturelle" du cavalier sur son cheval. Pendant les années de la
Révolution et de l'Empire, on n'avait guère réfléchi aux principes
et la "position naturelle" se déduisait de la nécessité. L'Empereur
était le règlement vivant de son armée.
Cordier et Flandrin réintroduisirent cependant
une doctrine dans l'organisation de la cavalerie. Ils durent réfléchir
sur la relation de l'homme et du cheval dans la perspective de l'administration
de nouveaux corps. Freville est le nom de guerre de Jean-Baptiste
Rémy Cordier. Cet officier de cavalerie vécut de 1771 à 1849. Soldat
au 23e chasseurs en 1792, sous-lieutenant au 19e chasseurs en 1796,
il passa dix huit mois à Versailles comme élève officier dans l'école
d'instruction des troupes à cheval. Il devint lieutenant sur le
champ de bataille de la Trebbia le 7 juillet 1799, capitaine en
1803. I1 fut constamment en campagne jusqu'en 1810, année où il
est mis à la retraite. Il est alors nommé sous-écuyer à l'école
de St Germain en 1811, puis officier instructeur à la compagnie
de gendarmerie du Roi en 1814, à Versailles en 1824 et de nouveau
à Saumur en 1825. Il en commande le manège de 1825 à 1834. L'influence
de Cordier, élevé dans les principes de l'ancienne école française,
fut importante à Saumur où passaient tous les élèves officiers de
l'arme. Dans une conférence faite en 1812, il expliquait qu'il fallait
mettre l'art de l'équitation à la portée de toutes les intelligences.
Son collèque, Antoine Bénigne Flandrin était professeur
à Saumur en 1815. Il y professait sur toutes les connaissances se
rapportant à l'étude intérieure et extérieure du cheval, à son emploi
dans tous les services militaires, à sa conservation, à sa propagation,
à son amélioration et à son remplacement, cours dans lequel entrait
comme corollaire indispensable une étude de l'anatomie humaine comparée
à celle du cheval.
Flandrin nommait son cours l'hippigie. Pour lui,
il faut faire de l'hippigie une science complète et spéciale pour
l'officier de cavalerie. Il convient d'établir l'unité et l'uniformité
en vue de réaliser une militarisation effective. Pour les officiers
de cavalerie, l'hippigie, c'est-à-dire l'étude du cheval en santé,
doit être un élément de la logistique: l'art de mouvoir les armées.
Cordier est l'auteur avec Flandrin du cours d'équitation
de Saumur publié en 1830, en vigueur de 1830 à 1850, remplacé par
celui de d'Aure en 1852.
Cordier, héros de l'épopée napoléonienne, apporta
une caution essentielle aux idées de Flandrin. Pour eux, l'unité
est la marque de toute perfection et le caractère de l'unité est
la simplicité. L'art militaire doit viser à se simplifier et à s'unifier
dans la rigoureuse adaptation des moyens de l'instruction des troupes
à ses fins: son emploi à la guerre.
"De toutes les questions
dont la solution importe à l'instruction de la cavalerie, celle
relative à la position ou posture, dite plus improprement pose du
cavalier, est une des plus importantes: car si une bonne position
produit en partie la rectitude des alignements et l'agrégation des
masses, elle est avant tout la clef de l'instruction individuelle
du cavalier puisqu'elle doit faire de lui un corps d'autant plus
facile à porter et à mouvoir, que son poids et que ses mouvements
sont plus en rapport avec ceux du cheval et s'y confondent en toutes
circonstances. Aucune confiance et partant aucun succès durable
en équitation, sans l'aisance que donne une position commode et
sans la sécurité que procure une tenue solide. Et cependant, malgré
cet intérêt généralement senti et proclamé, comment se fait-il qu'il
y ait si peu d'accord dans les opinions à cet égard ? Comment actuellement
encore, parmi les personnes que des succès pratiques démontrent
familiarisés avec l'usage du cheval, trouve-t-on autant de dissidence
? Pourquoi, dans les régiments, instruits d'après la même ordonnance
voit-on encore des différences marquées ? La position doit être
naturelle, on écrit tous les auteurs et répétent tous les maîtres;
mais la nature est une et ils diffèrent presque tous les uns des
autres !" (37).
Pour pallier à cette difficulté,
Flandrin propose un principe d'instruction de la cavalerie : "le
moyen consiste à mettre celui qui y est soumis à même de se voir,
de se juger, de se donner par lui-même des leçons plus profitables
et plus attrayantes que celles de ses maîtres dont il n'est pas
question d'ailleurs, de le priver. Ces maîtres nous disaient à Versailles
: "Regardez-moi et m'imitez". Moi je veux qu'on dise à l'éléve "Regardez-vous,
jugez-vous, comparez ce que je vous dis avec ce qui frappe vos yeux
et que vous devez ressentir" (38).
L'imitation n'est plus la règle, l'art de bien appliquer la théorie
donc le règlement, à soi-même la remplace. Il rajoute : "Nous tenons
seulement aux principes :
- le premier point, c'est la fusion aussi complète que possible,
dans un intérêt purement militaire, des connaissances qui ressortent
de l'étude du cheval appliquée à son emploi,
- de commencer tout travail par l'exposé des principes sur lesquels
la pratique doit s'exercer. En un mot meubler la tête avant d'exercer
les membres et faire que les élèves puissent se juger eux-mêmes"
(39).
Cordier, envagé volontaire, que le hasard avait
dirigé vers Versailles où il reçut les enseignements des piqueurs
du prestigieux manège de Versailles, fut écuyer avec Ducroc de Chabannes,
à Saumur, de 1815 à 1817. Mais ce dernier ne supportait pas le rationnalisme
avec lequel son collègue enseignait l'équitation. En effet, la tradition
de d'Auvergne avait parfaitement mis au point une équitation militaire
spécifique. Pour Cordier, au contraire, l'académisme était de règle.
Deux conceptions s'affrontaient l'une "libéraIe", l'autre "interventionniste",
l'une "naturelle", l'autre "volontariste".
Ducroc de Chabannes s'affronta aussi avec le Général
de la Ferrière, commandant à l'école, et même avec le ministre de
la guerre. Il fut remercié en 1817.
Cordier enseigna jusqu'en
1822, année où un complot fomenté à l'intérieur de l'école entraine
sa dissolution. Cordier continue à enseigner à Versailles où l'école
s'était reconstituée, il y était alors écuyer en chef. En 1825,
il regagne Saumur où est fondée l'école royale d'application de
cavalerie. "Sans étre corpulent, il était plutôt massif, et si sa
tenue à cheval était impeccable, elle paraissait aussi un peu trop
étudiée. Il était toujours d'une correction absolue avec tout le
monde, mais sa manière d'être et son maintien restaient toujours
un peu compassés et même gourmés
(g). Cordier disait que "l'assiette du cavalier étant
la base essentielle à sa pose, à sa sureté, à la grâce et à la justesse
de tous ses mouvements à exécuter, il est important de la bien établir".
Cordier meurt le 14 mars 1849. Le marquis Ducroc de Chabannes fut
rappelé à Saumur en 1825, mais il resta très effacé pendant deux
ans et meurt le 7 juillet 1835 .
Le débat entre ces deux écuyers fut fondateur car
il reprendra un peu plus tard aussi entre Baucher et le vicomte
d'Aure. Le roturier reprend et affirme des principes empruntés dans
une certaine mesure à l'académisme du XVIIIe siècle s'opposant au
noble qui affirme le naturel contre la théorisation. La synthèse
semble impossible tant l'équitation correspondait dansd l'un et
l'autre cas à des cultures différentes du pouvoir et de la représentation
de l'autorité.
3. L'esprit
cavalier au service de la stratégie et de la tactique
"Le cheval est pour l'homme
son véritable compagnon de guerre. Il faut le choisir avec soin.
Le cheval de guerre doit être à la fois leste et vigoureux. Il doit
étre ardent, mais docile; il doit avoir une constitution robuste,
et son éducation, faite autant que possible en plein air, a du le
préparer aux intempéries des bivouacs et aux fatigues de la vie
de campagne. Le cheval de guerre a deux propriétés: la rapidité
et la force de l'impulsion; il les communique à son cavalier et
ce sont là, en effet, les deux propriétés tactiques de la cavalerie"
(40).
Le lieutenant-général Maximilien
Lamarque écrivait dans le premier numéro de la revue Le spectateur
militaire en 1826, que la stratégie était l'art de diriger les forces
sur les points importants, l'art de découvrir les points par 1eur
analogie avec les principes fondamentaux de la guerre. Ces principes
fondamentaux de la guerre à cheval étaient enseignés à Saumur imprégnés
du débat entre "volontariste" et "naturaliste". La stratégie était
définie comme la "marche naturelle", son sens étymologique disait
Lamarque (41).
Un débat fondamental sur
la stratégie et la tactique s'engage sous la Restauration et va
durer jusqu'en 1914. En 1826, un auteur signant B.R. écrivait dans
la même revue que "le mot stratégie" ne se trouve dans aucun ancien
dictionnaire: c'est donc un mot nouveau qu'il est nécessaire de
définir. "J'entends par stratégie une combinaison de divers grands
mouvements pour arriver à un résultat unique" (42).
Jean Thomas Rocquancourt (1792-1871) officier d'état-major, écrit
un "cours élémentaire d'art et d'histoire militaire" où il affirme
que "l'art militaire... n'est autre que celui de vaincre une plus
grande force avec une force moindre". Voilà quelque chose de très
équestre !
Pour Rocquancourt, il faut
trouver le moyen d'agir le moins possible pour le plus grand rendement:
le règlement devient le missel de l'art militaire. L'art de la guerre
se confond de plus en plus en cette période de paix avec la science
administrative: deux citations peuvent illustrer ce propos "l'officier
chargé d'un commandement à l'armée, ne peut espérer de succès que
par l'application intelligente des préceptes renfermés dans l'ordonnance
du 3 mai 1832, sur le service en campagne, il est donc essentiel
de les connaître pour s'y conformer autant que possible. L'étude
de cette théorie est surtout très importante pour celui qui n'est
pas passé par les épreuves de la guerre: la parfaite connaissance
de ce règlement peut seule suppléer à l'expérience et donner le
moyen de se tirer des positions difficiles " (43).
"La connaissance approfondie
de tous les besoins des troupes, soit en paix, soit en guerre, et
des meilleurs moyens pour faire face à tous ces besoins de la manière
la plus économique, c'est ce que j'appelle la science de l'administration"
(44).
Le
général Pelet dans son article "De la division" pense que l'organisation
des troupes a pour but de les rendre capables d'exécuter toutes
les opérations de la guerre et de les maintenir dans cet état pendant
la paix" (45).
La pensée sur le rôle politique de l'armée s'affirme très nettement
à ce moment-là. "L'Etat qui ne saurait pas se défendre, cesserait
bientôt d'exister. La guerre devient ainsi une condition de l'existence
politique" (46).
Il s'agit non seulement d'une science administrative mais aussi
d'une science politique car c'est la pensée de la guerre , de l'affrontement,
qui s'imposera une représentation des temps de paix.
L'officier de cavalerie
d'Aldeguier (1797-1859) avait été un des rédacteurs de l'ordonnance
de 1829 que son livre édité en 1843 reprend et paraphrase, en exposant
clairement les objectifs sous-jacents. Les citations qui suivent,
illustrent bien l'ampleur de la réorganisation de la cavalerie en
fonction du cheval. "Instruire les troupes, c'est leur donner la
connaissance et l'habitude des mouvements qu'elles doivent exécuter
par la suite; ce sont donc les mouvements qu'on fait à la guerre
qui doivent servir de base aux exercices en temps de paix" (47).
"Plus tard, quand les cavaliers
seront formés et les jeunes chevaux dressés, quand les uns et les
autres auront été ramenés à l'unité, on pourra en réunir un plus
grand nombre et les faire marcher sur un plus grand front ne perdant
jamais de vue qu'une troupe n'est autre chose qu'un grand corps
auquel il serait impossible de se mouvoir d'une manière uniforme
si les mouvements n'étaient pas les mêmes en étendue et en vitesse,
et si tous les individus, hommes et chevaux, dont elle se compose,
n'avaient été formés préalablement les uns et les autres" (48).
"Les colonnes et les lignes
de bataille, quel que soit leur front ne sont autre chose que de
grands corps qui, dans leur marche et mouvements, doivent se rapprocher,
autant que possible de la précision et de la rapidité des mouvements
d'un seul homme" (49).
La
recherche de l'unité du commandement oblige les officiers d'état-major
à mieux codifier les mouvements. D'Aldeguier continue: "tout doit
plier sous le commandement du chef qui en est proprement dit la
tête: tandis que ceux qui le composent sont les bras et les jambes
qui suivent la direction qu'il imprime" (50).
"Ainsi une armée n'est autre chose qu'un grand corps divisé et subdivisé
en un grand nombre d'autres; mais elle ne cesse pas malgré son énormité
et les circonstances incidentes qui se présentent, sur le vaste
espace qu'elle couvre, d'être dans la main du général en chef qui
la commande, et de concourir, de toute sa force et de tout son pouvoir
à l'exécution de sa volonté et dès que cet ensemble, cet accord
de volonté et cette unité de mouvements et d'exécutions pour concourir
au plan général, sont détruits, elle rentre dans la catégorie de
ces réunions d'hommes tumultueuses que leur nombre, en augmentant
la division, la confusion et le désordre, rend encore plus incapable
d'agir et de se mouvoir" (51).
Pour cela il faut instruire
et pour cela il faut des institutions spéciales "pour ramener à
l'esprit militaire, dont la décroissance a été plus d'une fois constatée.
Il y a déjà longtemps qu'on a dit que, si le Français était guerrier,
il n'était pas militaire, en ce sens que dans notre nation, on répugne
à la discipline,a l'ordre, à la régle; ayons donc des établissements
où cet esprit se conserve et se perpétue: ayons en, surtout dans
la cavalerie, afin d'inoculer, dans les moeurs du cavalier, cet
amour du cheval, cette douceur et ces soins conservateurs, qui ne
lui sont pas aussi naturels que la bravoure sur les champs de bataille,
bravoure qui serait sans résultat si le cheval, ce moteur principal,
manquait au moment du danger, de la vigueur nécessaire" (52).
D'Aldeguier s'était engagé volontairement en 1813
à 16 ans, au 3e régiment des gardes d'honneur. Retraité en 1845,
il avait fait sa carrière sous la Restauration et la Monarchie de
juillet. Il est de ceux qui eurent besoin de redéfinir l'expérience
de l'Empire et de s'en faire les chantres. Nostalgiques d'une période,
ils s'employèrent à la raconter. Le cheval, centre de leurs préoccupations,
leur permettait de revivifier ce qu'ils sentaient s'éloigner.
Forts de tels raisonnements,
les élèves de Saumur étaient regaillardis périodiquement par les
discours patriotique: comme le leur avait exprimé le Prince Président
Louis-Napoléon fionaparte le 31 juillet 1849 à Saumur: "Dans cet
établissement où se forment de si bons officiers, on n'apprend pas
seulement à monter à cheval, mais on acquiert ces habitudes de discipline,
d'ordre et de hiérarchie qui constituent le bon citoyen. Ici l'esprit
militaire est encore dans toute sa force et Dieu en soit loué !
il n'est pas prêt de s'éteindre. N'oublions pas que cet esprit militaire
est, dans les temps de crise, la sauvegarde de la Patrie" (53).
Une fois sortis de Saumur,
les jeunes officiers instruisaient les troupes essaimées sur tout
le territoire français. Puisque les occasions d'éclats étaient réduites
dans la vie de garnison, il se développa un intérêt particulier
pour la course. Les courses étaient très en vogue et les vieux officiers
ne voyaient pas d'un très bon oeil cette anglomanie. Les jeunes
officiers développèrent donc un discours justificatif qui leur permettaient
de contrecarrer l'hostilité des anciens. "La chose est nouvelle,
oui, mais au moins convenez qu'elle est naturelle, surtout lorsque
le turf est hérissé de barrières et d'obstacles, quand il représente
presque le champ de bataille avec ses difficultés, et accidents
de terrain, quand il s'agit de faire de l'équitation, de courir
non avec une vitesse phénomènale, mais une vitesse mesurée, qui
n'exclut pas les moyens de conduite, de domination du cheval ; Oh
! alors le turf est le patrimoine de l'officier de cavalerie" (54).
Le champ de course devient le champ de bataille
car la course est une bataille qui, loin de faire perdre au cavalier
sa souveraineté sur l'animal, aiguise son sens de la domination.
Les courses militaires prirent un essort très important dès le Second
Empire.
Très vite les vieux officiers ne supportèrent plus
l'égoïsme des officiers se désintéressant ainsi de leurs cavaliers.
Plusieurs officiers généraux interdirent formellement les courses
d'officiers dès 1856.
" L'HIPPIGIE "
Un officier de santé, A.Fitz-Patrick, né en 1808,
retrace dans "Considérations sur l'exercice du cheval" édité en
1836, combien l'hippigie était devenue la science générale pour
redonner la santé au corps de cavalerie par le cheval. Cette idée
se généralisa avec l'uniformité de l'instruction dans toute la cavalerie.
Fitz~Patrick écrit :
"Les nombreuses observations que nous avons été
à même de faire, nous ont conduits à reconnaitre que l'exercice
du cheval indépendamment de ses bien-faits physiques, influait heureusement
sur le moral des individus. Ainsi, par exemple, et en examinant
ce même sujet sur une grande échelle, nous voyons les hommes composant
les régiments de cavalerie, beaucoup moins soucieux et beaucoup
plus gais que ceux de l'infanterie; ils sont plus que ces derniers,
portés à la jovialité, et moins qu'eux, cependant, ils ont besoin
d'objets de distraction. Cette différence chez les mêmes hommes,
appelés aux mêmes travaux, partageant les mêmes dangers, soumis
à la même discipline, d'où peut-elle naître ? I1 est évident, pour
nous, et pour tous les gens de bonne foi, qu'elle est dûe à l'influence
qu'exerce le cheval sur le caractère de l'individu: on ne saurait
ni la chercher, ni la trouver ailleurs. Et la preuve la plus évidente
que nous en puissions donner, c'est l'apathie, la morosité, le dégoût,
qui se font remarquer chez le cavalier qui par quelque cause que
ce soit, a perdu le compagnon de ses fatigues, de ses périls et
de sa gloire; il semble lorsque cet ami lui manque, que ses facultés
intellectuelles l'ont abandonné; il est soucieux, distrait, s'ennuyant
de tous et de tout, et cherchant inutilement l'emploi de son temps.
A peine est-il remonté, tous les symptômes d'affliction, qu'on avait
remarqué chez lui disparaissent. Les soins qu'exige son cheval l'occupent
entièrement, et aucune peine, aucun souci, ne trouvent accès dans
son imagination. Et ce n'est pas seulement dans la cavalerie qu'on
est à même de faire ces observations: tous les hommes qui montent
à cheval peuvent également y donner matière ; et certes, ce n'est
pas d'aujourd'hui seulement qu'on a remarqué combien les chevaux
contribuaient au développement des facultés intellectuelles. On
ne peut pas inférer de la différence sensible qui existe entre les
caractères des soldats à pied et de ceux à cheval, qu'elle vient
des soins que réclame le pansement continuel des chevaux; car si
la troupe de ligne n'a pas cette occupation, elle en a d'autre nature
et les soldats de l'infanterie ne sont pas plus oisifs que ceux
de la cavalerie. Cette différence est due
toute entière aux sensations inconnues aux fantassins, et encore
que ces sensations différent entre elles, et qu'il y en ait de pénibles,
est-il cependant positif qu'elles disposent favorablement l'individu.
Il n'est pas rare de voir un homme sans courage s'exposer bénévolement,
gratuitement et sans crainte, aux plus grands dangers, s'il monte
un cheval qui lui soit connu ; (...) la confiance que lui inspire
son cheval l'emporte sur l'instinct de sa conservation (...). Nous
avons également remarqué qu'un homme qui monte habituellement à
cheval a les idées plus nettes, et formule plus aisément ses pensées:
d'où l'on doit nécessairement conclure que cet exercice sert efficacement
le développement de l'intelligence" (55).
III
- LA CENTAURISATION (1852-1870) (h)
"La centaurisation c'est-à-dire
l'union morale et physique du cavalier avec son cheval" (56).
Epopée et hippigie se confondirent pour laisser
une idéologie équestre intégrée où équitation et cavalerie ne faisaient
plus qu'une, et où cheval et cavalier avaient fusionnés. Une théorie
de la centaurisation fut formulée et s'imposa quasiment comme un
nouveau règlement militaire. Cette pensée marqua pour les soixante
années suivantes l'institution cavalière malgré les remises en questions
sévères de cet "esprit cavalier".
Comme jamais auparavant
le cheval devient omniprésent dans les préoccupations de la cavalerie
du Second Empire. "Le cheval n'a pas été créé pour la cavalerie,
c'est la cavalerie qui a été créée pour le cheval. Le conscrit ou
engagé volontaire qui entre dans la cavalerie ne s'engage pas à
servir un chef d'Etat ou un gouvernement, il se met au service d'un
cheval. Sitôt qu'il est immatriculé il devient le très humble et
très obéissant serviteur de ce cheval. I1 lui est soumis, il est
son esclave. A partir de ce jour fatal, il ne s'appartient plus,
il appartient à son cheval. Il doit refouler ses désirs, résister
à ses goûts, renoncer à ses habitudes, pour prendre les goûts, les
moeurs et les habitudes de son cheval" (57).
Lancosmes
Brèves (1809-1873), page de Charles X de 1825 à 1829, servit un
an comme officier au ler carabiniers, et démissionna en 1830, refusant
de servir Louis Philippe. Il se dévoua ainsi à la cause équestre
le restant de sa vie (58).
En 1860; il édite sa "Théorie de la centaurisation" qui est une
méthode tendant à former simultanément et le plus rapidement possible
les cavaliers de recrue et les jeunes chevaux. La centaurisation
est l'application exacte du travail harmonieux des moyens du cavalier:
la main, le corps et les jambes ayant pour guide la marche du centre
de gravité du cheval. Ainsi, après que le cavalier commence à se
rendre maître des mouvements du cheval, l'instructeur doit lui indiquer
sommairement et le plus élémentairement possible que le cheval est
doué, comme lui de facultés intellectuelles qui dirigent ses actions;
que ces facultés, quoique moins étendues que les siennes, n'en ont
pas moins une puissance telle que le cavalier se trouve obligé de
les reconnaitre; qu'il ne suffit pas de savoir conduire le corps
de l'animal, qu'il faut savoir être maître de sa volonté, afin de
n'avoir pas à lutter avec lui; or, l'instructeur ne doit pas ignorer
que la volonté du cheval s'obtient sans contrainte si, dans l'application
du travail des agents, le cavalier sait mettre le degré voulu de
sollicitation ou d'opposition" (59).
Les principes de Lancosmes
Brèves inquiétèrent un peu, mais cela les rendit célèbres. Depuis
quelques temps, l'armée et particulièrement la cavalerie avait à
nouveau besoin de trouver la méthode pour "regénérer" les troupes
et pour cela elle invitait les écuyers à exposer leur méthode à
Saumur où un certain nombre de recrues étaient mises à leur disposition.
Lancosmes-Brèves, voulant prouver et faire reconnaître la validité
de sa méthode d'instruction simultanée des hommes et des chevaux,
avait été autorisé par le Ministre à faire des expériences sur des
détachements du ler et 2e carabiniers. Une commission présidée par
le Général Grand (60),
président du comité de cavalerie et composée du lieutenant-colonel
d'Avocourt, du chef d'escadron de la Jaille, des capitaines Effantin
et de Mauduit, avait pour mission de juger la nouvelle méthode.
Les expériences de Lancosmes Brèves plurent à cette
honorable commission. Elle rédigea un rapport pour le Ministère
de la Guerre dont les conclusions traduisent le scientisme appliqué
aux enjeux militaires. "Trois sciences gouvernent le cheval principalement
: la physiologie, l'anatomie, la mécanique. Toutes les trois ont
fourni à M. de Brèves des règles parfaitement applicables d'une
compréhension très facile. La physiologie lui a inspiré qu'il ne
pouvait y avoir entre le cheval et le cavalier, l'un et l'autre
ignorant, l'entente nécessaire au succès du dressage complet qu'autant
qu'il y aurait entre l'animal et l'homme une union morale, et pour
cela il a travaillé, tout d'abord à établir l'harmonie des deux
instincts, harmonie des deux intelligences. Son attention a donc
été d'apprendre au cavalier chargé de se lier à son cheval et de
le dresser ce qui était l'instinct, l'intelligence, l'expression.
I1 s'est attaché, par des exemples faciles, à comprendre et pris
dans les habitudes de l'existence commune de l'homme et du cheval
à faire concevoir au cavalier que le cheval a, comme lui, des facultés
intellectuelles et dans le courant de ces trente lecons, il a trouvé
à chaque instant le moyen de montrer qu'il y a toujours, chez le
cheval non éclairé, une résistance involontaire et qui entraîne,
de la part de l'homme chargé de son éducation, l'obligation de parler
à son intelligence...La structure du cheval (l'anatomie) fournissant
la connaissance du jeu des muscles sur les os de l'animal, M. de
Brèves s'est appliqué à ne pas faire exécuter un mouvement au cheval
et au cavalier, à ne pas donner une position à l'un et à l'eutre,
qui ne fussent commandés par le jeu des articulations. Il s'est
étudié à éviter les défenses du cheval en liant le cavalier au corps
de l'animal. Ce travail, il l'a donné pratiquement au cavalier,
et c'est dans le travail et le rapport intime qu'il établit constamment
entre les points de contact de l'homme et du cheval, que se trouve
la principale clef de sa méthode; aussi a-t-il mis dans la tête
du cavalier que s'il devait y avoir harmonie entre les facultés
intellectuelles du cavalier et celles du cheval, il devait y avoir
harmonie dans les mouvements de l'une et de l'autre pour arriver
à l'union physique (...) La mécanique a fourni naturellement à M.
de Lancosmes Brèves l'ordre et l'harmonie dans le travail du cheval
et du cavalier. C'est la marche du centre de gravité du cheval qui
a dicté le travail de la main, du buste et des jambes". Cette volonté
renouvelée par l'esprit positiviste allait réinsuffler une frénésie
d'exercices.
Sous le second Empire, la cavalerie n'eut pas de
moments de repos absolu. Tous les ans, à partir de 1858, quatre,
cinq et jusqu'à sept régiments, allaient s'exercer au camp de Châlons.
En 1868 et 1870, il y eut même deux séries. Il passa donc dans les
treize années de l'Empire où le camp ne fut pas réservé à la garde
impériale, 70 régiments par les plaines de Chalons. Avec l'Afrique
et les campagnes de guerre, avec Lunéville, Sathonay, Versailles,
la cavalerie avait des occupations suffisantes et l'habitude du
regroupement ne lui manquait pas.
En 1865, toutefois, le septième de l'effectif agissant
de la cavalerie, fut supprimé à cause des décisions budgétaires
du parlement et Thiers obtient que le contingent annuel fût réduit
de 10000 hommes.
Le règlement de 1829 fut revu en 1866 mais l'esprit
formel en demeura inchangé. C'est avec ce guide que la cavalerie
se présenta à la guerre de 1870. Il n'y a qu'à parcourir les cours
de Saumur de la fin du Second Empire pour se rendre compte que l'adaptation
de la cavalerie à la guerre n'était pas mise en question. La cavalerie
française se sentait l'héritière fidèle de l'empire, des "ancêtres",
et les seules difficultés pour les cavaliers étaient de rester en
selle le temps prévu par les règlements. Chacun ne voyait que ce
qui l'entourait et vouait au cheval un culte naïf: le cheval était
l'objet central et exclusif de l'arme.
Voici
qu'elle était alors les préoccupations de 1'instruction. Humbert
(1827-1871) avait été professeur d'histoire militaire à Saumur de
1860 à 1867. Dans son "Programme élémentaire de Cours d'art et d'histoires
militaires", il cite une phrase de Montécuculli (1609-1680) prêchant
qu'il fallait cacher le faible d'une armée comme on cache les infirmités
du corps (62).A
la fin du Second Empire, l'armée était donc devenue une grosse machine
où l'instruction ajustait les différentes pièces du mécanisme et
l'éducation morale en huilait les rouages. "L'huile est la même
pour toute l'armée, cela va sans dire, tandis que le mécanisme varie
avec l'arme de l'homme de troupe. Celui que représente le cavalier
se complique d'une série de rouages juxtaposés, organisés à part
et devant s'engrener avec les autres. Cette série qu'on appelle
"le cheval" nécessite pour la bonne marche de l'ensemble, une entière
concordance, un emboitage à peu près parfait" (63).
I1 ne faut pas rater le
dressage du centaure, et ainsi montrer une infirmité dans le corps
de troupe. Alors "dans la main de son chef, le troupier est une
arme complexe au mécanisme délicat. Vieille autant que banale, cette
comparaison a pourtant le mérite d'être essentiellement juste, aujourd'hui
peut-être encore plus qu'autrefois, surtout en ce qui concerne la
délicatesse du mécanisme" (64).
L'apprenti cavalier devait devenir un vrai centaure et il fallait
selon le proverbe qu'il tombe sept fois par jour pour y arriver.
Mais avec l'habitude, le jeune cavalier "dans ces nombreuses séparations
de corps", trouve le moyen de choir sans se faire aucun mal. Il
trotte en cercle durant des heures entières bon gré, mal gré. I1
acquiert cette solidité et cet aplomb à l'usage.
"Mille millions de tonnerres
! s'écria le hussard Gédéon Flambert, j'y vois clair à la fin. Moi
qui m'étais engagé pour servir glorieusement ma patrie, je suis
tout simplement entré au service d'un cheval, de mon cheval. Encore
ai-je bien le droit de l'appeler mon cheval et n'est-ce pas lui
plutôt qui pourrait dire: mon cavalier ?" (65).
Si tout un chacun est soumis aux impératifs équestres,
la hiérarchie militaire n'y échappe pas. Les officiers supérieurs
sont à cheval le plus souvent. Ils ont fait carrière avec le cheval
et dans une assez grande mesure pour le cheval. La fin du Second
Empire se soldera par une guerre courte la cavalerie voudrait se
montrer égale à celle de la légende. Dotée d'une règlementation
implacable, elle cherchera en vain son chef.
Les centaures allait redescendre brutalement sur
terre avec la guerre de 1870. Le baron Faverot de Kerbrech (1837-1905)
entre à Saint-Cyr en 1854. Il est sous-lieutenant au 6ème Hussards
avec lequel il fait la campagne d'Italie en 1859. Lieutenant en
1862, il est capitaine en 1866. Il est nommé en 1867 officier d'ordonnance
du général Fleury (1815-1884), grand écuyer de France et aide de
camp de l'Empereur. Faverot de Kerbrech monte et travaille les douze
chevaux de selle inscrits au rang personnel de Napoléon III. L'Empereur,
pourtant très bon cavalier ne montait plus à cause de sa douloureuse
maladie. D'ailleurs, il suivit les opérations de l'été 1870 de sa
voiture, sauf devant Sarrebrück, le 2 août, où il monta l'alezan
Héro. Faverot de Kerbrech, le ler septembre à Sedan, apporte au
général Margueritte l'ordre de "charger sans retard" et participe
lui-même à cette charge mémorable. Comment se présente le terrain
de la bataille de Sedan, livrée le ler septembre 1870 ? C'est un
triangle dont les sommets sont marqués par le Sud-Est de Bazeilles,
le Nord-Est de Floing et le Calvaire d'Illy. Il y a trois kilomètres
entre Floing et le Calvaire. Du Calvaire à Bazeilles, il y a six
kilomètres et autant pour le dernier côté du triangle. La Meuse
coule de Floing à Bazeilles et traverse Sedan.
Les positions françaises sont dans un vaste entonnoir,
dominées de tous côtés.
La nuit du 31 août au ler septembre se passa dans
un calme relatif, hommes et chevaux étant exténués. Vers 4 heures
du matin, le lieutenant de Pierres qui commandait une reconnaissance
du 3e Chasseurs d'Afrique, envoya au général Margueritte le renseignement
suivant: "la fusillade commence sur les bords de la Meuse. Le Prince
Royal est là avec son armée". En effet, les deux armées ennemies
réunies formaient un total de 190000 fantassins et de 36000 cavaliers,
le tout appuyés par 800 canons. A 6 heures, le canon tonna. La bataille
commençait et la fusillade devint très vite vive et incessante.
Les deux infanteries étaient aux prises à Bazeilles... La cavalerie
attendait un ordre pour jouer son rôle. Le maréchal Mac-Mahon fut
blessé et dut être évacué, il désigna le général Ducrot (1817-1822)
dont Faverot de Kerbrech était l'officier d'ordonnance depuis quelques
jours, pour prendre le commandement.
Ducrot ne fut averti qu'à 7 h 45 et aussitôt il
prescrivit le dogagement par le Nord. Cette décision fut très mal
accueillie par l'état-major du moment. "La retraite en ce moment
c'est le déshonneur, c'est une affreuse déroute!" A quoi Ducrot
répond "Attendre quoi? Que nous soyons enveloppés? Il n'y a pas
un instant à perdre. Exécuter mes ordres et tréve de réflexions!"
Le colonel Robert rétorque: "Il serait au moins nécessaire de prévenir
l'Empereur..." ."Que l'Empereur aille se faire foutre où il voudra,
c'est lui qui nous a mis dans le pétrin".Ducrot voyait juste, il
ne tolérait pas "l'enveloppement": se faire chevaucher par la Prusse
!
Le mouvement de Ducrot était en cours d'exécution
lorsque le général Wimpffen vint et revendiqua le commandement que
le Ministre de la Guerre lui déléguait. Ducrot s'inclina et Wimpffen
amorça une contre attaque, il en fit part à l'Empereur complètement
désemparé et souffrant. Il fallut dès lors que le mouvement de retraite
soit désamorcé pour faire face à l'ennemi. Le général Margueritte
fit charger le 3e régiment de Chasseurs d'Afrique afin que le triangle
ne se referme point au Nord, seule porte de secours. (Quelques escadrons
parvinrent à passer et se retrouvèrent plus tard le 6 et 7 septembre
à Versailles). Margueritte chargea dans la direction de Floing.
Blessé, Margueritte remit le commandement au général Gallifet. Ducrot
vînt à son service."Encore un effort, si tout est perdu, que ce
soit pour l'honneur des armes!" ce qui lui valut la réponse restée
célèbre : "Tant que vous voudrez mon général, tant qu'il en restera
un ".
Faverot de Kerbrech échappa à la captivité tout
comme le général Ducrot. Après 1'armistice il sera ensuite dans
presque toutes les affaires du siège de Paris. Versaillais, il combat
la commune aux ordres du Général Ducrot comme lieutenant-colonel.
Il fut comblé d'honneurs et de décorations, il devint général et
grand officier de la légion d'honneur; il meurt en 1905.
L'officier au XIXe siècle témoigne par lui-même
de l'ambiance de l'époque avec toute sa présomption et toute son
imagination. Faverot de Kerbrech militaire de carrière, donne tout
son temps à l'équitation et au cheval. Ce vieil officier de carrière,
montant son cheval, chaque jour à heure fixe, était une figure légendaire
tout comme le souvenir des batailles de l'Empire: le Premier et
le Second se confondent maintenant dans l'épopée.
"La guerre de 1870 a pour
ainsi dire marqué une profonde coupure dans la vie de l'armée française.
Ce ne sont point seulement les conditions du service, les principes
d'organisation, les règlements divers qui ont subi de véritables
bouleversements: il s'est produit une transformation peut-être encore
plus significative dans le caractère, la physionomie, les tendances
de l'armée. La défaite impitoyable a jeté une sorte de voile obscur
entre les deux époques qu'elle sépare" (66).
En 1844, entre les deux époques impériales, le Prince Louis Bonaparte
avait écrit dans l'Extinction du Paupérisme que "le règne des castes
est fini, on ne peut gouverner qu'avec les masses". Plus de castes,
mais certainement une autorité, que le second Empereur voulait d'abord
toute personnelle. L'Empire disparut dans la tourmente de Sedan
l'Empereur ne montait plus à cheval.
Le général Foy (1715-1825),
très célèbre, fut aussi député libéral et avait déjà tiré une conclusion
: "Si vous ne montez à cheval, comme un centaure, si vous n'avez
l'oeil de l'aigle, le courage du lion, la décision de la foudre,
arrière !!! Vous n'êtes pas digne de commander l'ouragan de la cavalerie"
(67).
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