·
introduction ·
I ·
II ·
III ·
IV ·
V ·
VI · VII ·
VIII ·
IX ·
X ·
XI ·
XII ·
conclusion ·
bibliographie ·

I - UNIFORMITE ET HIERARCHIE
1. Les pesanteurs et les hésitations
de la cavalerie
2. Rossbach et Minden
3. Les efforts de Choiseul
4. L'ordonnance de 1777
5. Les problèmes hiérarchiques
II - EQUITATION ET COMMANDEMENT
1. Homme de cheval, homme de
guerre (Saunier et d'Autheville)
2. L'équitation discipline de
la troupe à cheval (Lubersac et d'Auvergne)
ANNEXE DU CHAPITRE VI :
LES THEORICIENS DE L'EQUESTRATION
MILITAIRE AU XVIIIe SIECLE
(notes)
CHAPITRE VI - LES ROUAGES DE LA CAVALERIE
"Nulle administration ne
peut remplacer celle des corps" (1).
Cette affirmation du comte de Saint Germain fut le projet irréalisé
du XVIIIe siècle. Ce chapitre s'attachera à montrer les difficultés
d'organisation de la cavalerie dans l'effort de considérer l'arme
à cheval comme un corps. Le gouvernement royal essaya d'établir
une uniformité de la cavalerie tout en établissant hiérarchie, nécessaire
au besoin nouveau de commandement.
Ces préoccupations, dont le contenu est alors mal
arrêté, échouèrent dans leur application. Ensuite avec la présentation
de l'équitation militaire, on constate l'évolution de l'art équestre
qui devient autant une doctrine pour le commandement que pour le
dressage de la troupe.
I - UNIFORMITE
ET HIERARCHIE
Jusqu'en 1715, de nombreuses modifications sont
faites dans la constitution de la cavalerie, tant sous le rapport
des effectifs de l'escadron et de la compagnie, que du nombre des
régiments. Mais on ne trouve pas de traces profondes de changement
dans la tactique et les manoeuvres. La France avait constamment
cinq armées sur pied, une en Allemagne, une aux Pays Bas, une au
Piémont, une en Espagne et une en Alsace. On ne pensait guère à
l'uniformité des manoeuvres.
1. Les pesanteurs
et les hésitations de la cavalerie
Après la paix d'Utrecht, le 11 avril 1713, toute
la cavalerie subit d'importantes réductions. De nombreux régiments,
créés pendant les guerres sont supprimés ou regroupés. A l'avènement
de Louis XV, la cavalerie se compose de 58 régiments de cavalerie,
14 de dragons et 2 de hussards.
En garnison et dans les quartiers, les capitaines
chargés de 1'entretien de leurs compagnies, montrent peu de zèle
à les conduire aux exercices. Car chaque séance est toujours l'occasion
de dépense pour réparer le harnachement ou pour changer d'équipement.
Leurs troupes étaient une "sorte de terre" dont le rapport devait
être le plus grand possible.
Le Roi ordonna la réunion dans plusieurs camps
des diverses troupes afin qu'elles s'y forment à un exercice général.
L'idée d'accoutumer les régiments pendant la paix aux exercices,
mouvements et évolutions, progressait lentement. La diversité des
multiples essais montre la difficulté à trouver une codification
des principes établissant l'uniformité si nécessaire à l'instruction
et à l'établissement d'une stratégie conséquente. Le Sieur de Briquet
édite en 1728, un "code militaire ou compilation des ordonnances
des Roys de France, concernant les gens de guerre". Ce code est
réédité plusieurs fois en 1734, 1741, 1761. Le Sieur de Briquet,
commis au Ministère de la Guerre énonce le principe central de l'organisation
qui semble bien être le seul qui structure fondamentalement la discipline
de la cavalerie.
"Tous soldats, cavaliers
et dragons seront tenus, sous peine de vie, d'obéir aux officiers
des régiments et compagnies dont ils seront, en tout ce qui leur
sera par eux ordonné pour le service de Sa Majesté, soit dans les
armées, en route, dans les quartiers et dans les garnisons" (2).
Les ordonnances, en recherchant des modalités nouvelles
d'organisation de la cavalerie essayaient de pallier la grandissante
inadaptation des troupes sur le champ de bataille.
Au nom du Roi on répète alors le voeu d'une meilleure
discipline faute de pouvoir instaurer une administration globale
de la guerre. Dans l'ordonnance du 2 août 1732, portant création
de plusieurs camps, il est dit : "comme les différentes méthodes,
qui sont introduites dans les règlements sur les exercices, pourraient
causer des inconvénients dans une armée où l'on ne peut observer
d'uniformité, Sa Majesté désirerait que l'on pût parvenir à établir
une règle stable et uniforme, tant pour l'infanterie que pour la
cavalerie. Le commandant de chaque camp trouvera deux projets proposés
pour les deux corps. Il examinera ce qui est utile et praticable
et après avoir fait exécuter par les troupes les exercices qu'il
aura approuvés, il adressera au secrètaire d'Etat à la guerre, un
mémoire d'observation qui puisse conduire à 1'objet que Sa Majesté
se propose".
Dans son rapport, le secrétaire d'Etat à la guerre,
M. le comte de Belle Isle, après avoir témoigné sa satisfaction
aux états majors et aux mestres de camp, ajoute : "Que la cavalerie
manque d'instruction, que le mal est grand et a besoin d'une attention
particulière et d'un prompt remède".
Si la confusion régnait dans les opinions à propos
des principes, la plupart était d'accord pour reconnaitre qu'un
des grands vices de l'état militaire était l'ignorance des officiers
en ce qui regardait leur métier. La noblesse se jetait tête baissée
dans la mêlée, ne reculait certes devant aucun obstacle en campagne,
mais faisait le sacrifice de sa vie aussi 1égèrement qu'elle vivait
en temps de paix. Elle croyait s'abaisser en descendant aux détails
de service. Elle considérait l'instruction des recrues comme indigne
de sa naissance et de son grade. L'ignorance des troupes provenait
en partie de celle des officiers, aggravée par la halte prolongée
pendant les quartiers d'hiver où il n'était pas toujours possible
de mener l'instruction régulièrement.
Les changements fréquents qui survenaient dans
la constitution des "corps", tant sur le nombre de compagnies que
sur leurs effectifs, ainsi que les changements dans le commandement
et dans les ordres, entretenait un flottement des méthodes.
En 1735, un projet d'instruction de M. de Mortagne
critique la manière dont la cavalerie marche, et dont découlent
tous les mouvements qu'elle a à exécuter. L'usage de faire marcher
les rangs éloignés les uns des autres et de laisser de grands intervalles
d'une compagnie à l'autre, produit, selon lui, de graves inconvénients.
Pendant longtemps, il y eut des hésitations sur
le nombre de lignes à organiser pour la bataille. L'idée s'affirme
que les cavaliers doivent se tenir serrés et sur deux rangs afin
que le deuxième pousse le premier; lui donne de l'impulsion. D'ailleurs,
on se demande pourquoi ne pourrait pas être généralisé à toute la
cavalerie ce qui se fait si bien dans la cavalerie de la Maison
du Roi et dans les compagnies de carabiniers qui se mettent ordinairement
en bataille sur deux rangs. Bref, un débat trés sérieux opposait
les tenants de l'ordre à deux rangs à ceux de l'ordre à trois rangs.
L'ordonnance du 26 juin 1755 prescrit que la cavalerie serait exercée
tantôt sur deux rangs, tantôt sur trois rangs, afin qu'elle sache
combattre de ces deux manières.
Des vives réactions de la part des généraux les
plus expérimentés prouvent que ce compromis n'était vraiment pas
du goût des officiers supérieurs. Pour eux l'escadron le meilleur
est celui qui se forme sur trois rangs de 48 maitres chacun, car
c'est, de leur avis, le plus juste dans ses proportions et le plus
susceptible de division et par conséquent le plus facile à former,
à rompre et à manoeuvrer. Progressivement, on reconnait que le troisième
rang est inutile et méme embarrassant. En effet, pour prendre une
allure un peu plus vive que le trot, il fallait aux chevaux du deuxiéme
rang un peu de place pour allonger et les cavaliers du troisième,
par conséquent, devaient retenir les leurs. On constatait alors
qu'il était impossible de charger au galop. Les opposants à la suppression
ne voyaient pas l'utilité de charger au galop, puisque, pour eux,
le troisième rang garantissait un choc suffisant. Une autre raison
consistait à affirmer que la valeur équestre des cavaliers était
insuffisante pour que l'on augmente l'allure et que l'on conservait
à cette vitesse inférieure, une certaine mobilité. Donc, il était
difficile de conserver l'uniformité si chére dans les principes.
L'attention des inspecteurs généraux sur cette situation fut sollicitée.
"L'ensemble" et "l'uniformité" étaient difficiles à conserver et
on discutait à nouveau sur la bonne "formation" à faire. Les oppositions
restaient fermes.
On retiendra de ces débats moins la valeur des
arguments échangés que la constante indécision qu'ils révèlent et
qui est une caractéristique de la cavalerie en cette période. Il
faut attendre l'ordonnance du ler juin 1766 pour faire définitivement
accepter la formation sur deux rangs.
Pour les historiens militaires du XIXe et du XXe
siècle, cette période est l'exemple type illustrant l'incapacité
à organiser "l'arme supréme"; beaucoup conservent l'idée que les
guerres de l'Empire permirent sa réorganisation. Napoléon devient
cette figure mythique qui, seule su disposer de la cavalerie comme
il se doit. L"'âme" de la cavalerie, pendant tout le XIXe et jusqu'en
septembre 1914, se retrempera aux souvenirs de l'épopée napoléonienne:
la cavalerie est action ou n'est pas, voilà le principe. La fin
du XVIIIe siècle est donc un contre-exemple que tous les historiens
se complaisent à relever: la cavalerie n'agit pas et elle se perd
dans les discussions de forme. Un anti-intellectualisme latent se
complait alors à dénoncer les discussions et les commissions.
Nous ne pouvons certes échapper à cet état d'esprit
partagé par beaucoup d'historiens militaires, mais il ne faut pas
écarter l'oeuvre fondamentale de la seconde moitié du XVIIIe dans
l'administration des armées, donc de la guerre. Dans l'ordonnance
de 1766, le principe de l'ordre déployé est présent. Il est accompagné
de celui de la vitesse. L'ordre déployé est le principe principal
pour établir des manoeuvres, la vitesse d'exécution confirme la
perfection de ce mouvement. Cela marque une rupture dans l'organisation
des manoeuvres.Si l'on prend par exemple celles exécutées le 12
septembre 1754, on s'apercoit qu'elles n'avaient guère changé depuis
Villars. On y fait quarante fois des "à droite" ou des "à gauche"
par compagnie, puis par deux compagnies, en escadron, deux charges
avec demi-tour au galop par compagnie. Si le retour s'apprend au
galop, la charge, elle, se fait au trot et on s'y exerce en plaçant
deux escadrons en face à face: celui dont l'exercice prévoit qu'il
est battu fait demi-tour à droite, en file, et se retire au galop.
Rien n'était plus funeste qu'un tel exercice qui enseignait en vérité
la fuite: les enseignements de Villars avaient été oubliés. Tout
comme seront oubliés, après la disgrâce de Choiseul en 1770, certains
des principes nouveaux qu'il avait cherché à imposer.
2. Rossbach
et Minden
C'est l'histoire de ces hésitations et contradictions
successives que nous allons reprendre maintenant plus en détail
en décrivant la cavalerie dans l'action.
Comment mieux représenter pratiquement la médiocre
organisation de cavalerie du début du XVIIIe, sinon en racontant
les déboires de cette arme dans la guerre de sept ans ? Deux batailles
permettent cette présentation, celle de RossLach, le 5 novembre
1757, et celle de Minden, le ler août 1759. Voici comment le commissaire
général de la cavalerie, M. de Castries, commandant de la cavalerie
dans l'armée de Soubise, a relaté la bataille de Rossbach dans une
lettre du 9 novembre 1757, soit quatre jours après la bataille.
Les deux ailes droites des première et seconde lignes étaient formées
par la cavalerie autrichienne et impériale: les régiments de Penthièvre,
de Saluces, de Lameth, de Lusignan et d'Escars formaient la réserve
et étaient en interligne dans le centre.
Les régiments de la Reine, de Bourbon-Busset, de
Fitzjames, de Bourbon, de Beauvilliers et de Rougrave formaient
la gauche de la première ligne. Ceux de Condé, de Bezons, de Saint
Jal de Poly, de Grammont et de Montcalm qui devaient former l'aile
gauche de la seconde ligne, avaient été détachés le matin sous les
ordres de M de Saint Germain pour masquer le front du camp du Roi
de Prusse pendant que l'armée le tournait par la droite. Mais Frédéric
II prévint ce mouvement et déborda entièrement la droite des alliés.
Le prince de Soubise ordonna à dix escadrons de
la réserve d'aller renforcer les deux ailes de cavalerie autrichienne
qui y étaient. Avant la rencontre, les réserves n'eurent que le
temps de se mettre en bataille. La cavalerie prussienne arriva sur
eux en muraille avec une "vitesse incroyable". Pendant ce temps,
la cavalerie autrichienne qui était restée en colonne, n'eut que
le temps de mettre trois ou quatre escadrons en bataille. La charge
a été vigoureuse de part et d'autre. "Ils n'ont cèdé qu'à la grande
supériorité et n'ont été pliés qu'après avoir été enveloppés". L'infanterie
en difficulté se battait, aidée par les régiments de la Reine et
de Bourbon-Busset. Finalement, M. de St Germain contenait avec les
régiments de Condé, Poly, de Grammont, de Saint Jal, de Bezons et
de Montcalm, cette retraite en devenant l'arrière garde. M. de Castries
justifie la défaite uniquement par la supériorité en nombre des
Prussiens. La cavalerie a été honorable car sans elle, la cavalerie
autrichienne et toute l'infanterie française auraient été enveloppées
et perdues.
M. de Castries donne des chiffres pour illustrer
la vivacité des combats. Globalement, 94 officiers de cavalerie
ont été tués, perdus ou blessés dans la journée du 5 novembre 1757.
Par ailleurs, le décompte des cavaliers tués ou pris, s'élève à
823, les cavaliers blessés à 272, les chevaux pris ou tués à 1 013
et les chevaux blessés à 185.
Dans
un autre mémoire (3), le duc
de Castries se plaint de la mauvaise qualité des armes des cavaliers
français. Les lames se sont cassées et les sabres étaient trop courts
si bien qu'il était difficile de toucher l'ennemi lorsque celui-ci
le faisait. Mais la plus importante critique est faite à l'ordre
de bataille. "Voici les inconvénients de l'ordre actuel, cinq ou
six officiers plus ou moins sont à quelques distances les uns des
autres, répartis sur le front de 48 hommes: leurs chevaux ne sont
soutenus de droite ni de gauche, la charge se fait et ils reçoivent,
à eux six, le choc d'un front d'escadron dont la forme vive et serrée,
faisant une pression égale sur toute la superficie de nos escadrons,
oblige nécessairement à tourner ces cinq à six chevaux qui y sont
saillants et éparpillés. On peut juger, d'après cette première manoeuvre,
s'il est possible aux cavaliers qui sont derrière, de percer et
renverser la troupe qui leur est opposée. Cela est impossible, ils
plient; les officiers qui ont chargé au premier rang en allant à
l'ennemi se trouvent au dernier en se retirant; ils sont tous mis
bas; l'escadron n'a personne devant pour l'arrêter: il ne se rallie
plus faute d'officiers: il s'éparpille et il n'en est plus question,
non seulement de toute la journée, mais une partie de ces officiers
devant naturellement être pris dans la position où ils se trouvent
dans la retraite et le régiment, quoique en bon état encore, ne
peut plus servir de toute la campagne et peut-être de toute la guerre.
On peut ajouter à cet inconvénient celui de ne pouvoir bien faire
manoeuvrer des escadrons lorsque les fronts en sont masqués par
cinq ou six personnes" (4).
Les raisons de cette critique étaient bien sûr
liées au fait que de nombreux officiers étaient morts à cause de
cette manière de se battre. Par exemple dans la brigade de Penthièvre
des six commandants d'escadrons, un seul est revenu. La légende
a attaché à cette bataille des souvenirs peu flatteurs, bien que
la cavalerie s'y soit battue vigoureusement. Mais la bataille de
Rossbach illustre pour tout le monde, le fait d'arme qui exposait
au grand jour l'inadaptation de l'arme à sa tâche. Tout le monde,
et particulièrement les vaincus, reconnurent la supériorité prussienne
pour l'ordre et la façon de manoeuvrer.
La bataille de Minden, le ler août 1759, permet
à nouveau de juger la tactique de la cavalerie française. Elle y
fut lourde et montra encore son incapacité manoeuvrière. Une des
raisons de cette incapacité était l'organisation défectueuse du
commandement. La division en lignes et ailes était impropre à toute
manoeuvre. Le défaut était aggravé par des généraux qui prenaient
leur commandement temporairement au hasard des tours de service
sans bien être fixés à une troupe particulière.
"Aujourd'hui, aucun n'a de
division fixe à laquelle il veille ni s'intéresse, le moindre petit
changement le faisant passer à tout moment d'un bout de la ligne
à l'autre et même de la cavalerie à l'infanterie. Les troupes sont
sans chef principal et ne rendent compte à personne, enfin il est
ab-surde de voir souvent deux maréchaux de camps attachés à une
brigade dont un brigadier doit être le commandant né" (5).
Le maréchal de Broglie avait pourtant quelque temps
auparavant (avril 1759), émis un ordre général pour que chaque division
soit composée définitivement à l'entrée de campagne pour toute sa
durée. Un lieutenant général devait commander chaque division.
Une anecdote montre combien il était devenu évident
pour les stratèges que la plus importante amélioration devait se
faire dans la cavalerie elle-même: on raconte que le comte de St
Germain étant à quelque distance de l'armée reçut la visite de l'aide
de camp d'un jeune prince, fort appliqué, employé dans la même armée
et cherchant à connaitre exactement la position de l'ennemi. "Je
vais vous la faire voir", répondit le comte qui le conduisit sur
une hauteur et braqua une lorgnette sur le quartier général. "Que
voyez-vous ?", "Notre quartier général !" -"Eh bien, c'est là qu'est
l'ennemi !"
M. le comte de Broglie avançait
cette idée nouvelle qui fut timidement reprise à la fin de l'ancien
régime. "Profitons de la paix, tâchons d'élever à la gloire de notre
maître un monument durable, utile à sa prospérité, au bien de l'Etat,
à l'honneur de la Nation et cessons de replâtrer les ruines sous
lesquelles nous serions quelque jour écrasés. Ayons le courage d'abandonner
nos vieilles erreurs, d'en raser jusqu'aux fondements. Elevons nos
idées, que l'immensité du travail ne nous effraie pas, formons un
plan général, le plus beau qu'ils se pourra, que nos plus habiles
maîtres le fassent ; exécutons le peu à peu en travaillant beaucoup
chaque jour, et nos généraux oseront remettre le sort des batailles
entre les mains de la cavalerie qui seule doit les décider, surtout
les rendre fructueuses" (6).
3. Les efforts
de Choiseul
Les succès soutenus de la cavalerie prussienne,
durant la guerre de sept ans, avaient rendu plus évident encore
le manque d'instruction de la cavalerie française.
C'était un édifice entier
à construire et à prendre à la base; aussi fallait-il un homme non
moins habile que courageux, pour oser combattre avec succès les
amours propres et les intérêts de cour froissés par la réforme;
cet homme fut le duc de Choiseul. Ce ministre remarquable ne tarda
pas à se convaincre que c'était la constitution de l'armée qu'il
fallait refondre (7).
Choiseul (1719-1785) suit une brillante carrière
d'officier: il fut lieutenant général en 1759, après avoir été ambassadeur
à Vienne en 1756. C'est après l'affaire de Damiens que d'Argenson
est disgracié et que Choiseul, devenu duc, est nommé secrètaire
d'Etat des affaires étrangères en octobre 1758, puis secrètaire
d'Etat à la Marine et à la Guerre de 1761 à 1766.
Après la guerre de sept ans, la confiance qui avait
été placée dans les institutions militaires de Louis XV fut complètement
ébranlée. L'opinion s'en prit à la cavalerie tout particulièrement.
Celle-ci subit une réduction considérable et fut soumise pendant
trente ans à une série d'essais et à un travail de réorganisation
pénible qui devait aboutir à une forme nouvelle et satisfaisante.
Par ordonnance du ler décembre 1761, 31 régiments de cavalerie disparurent
et furent dispersés dans les régiments restants dont les compagnies
virent leurs effectifs doubler. Tous les régiments de gentilshommes
disparurent, sauf celui de Noailles, et prirent des titres de princes
ou bien devinrent royaux avec des noms de province. Tout ceci fut
rendu possible par la suppression de l'entretien de la compagnie
par la capitaine propriétaire.
Les
défauts de cette organisation s'étaient affirmés avec évidence et
de très nombreuses voix s'étaient élevées contre la persistance
d'un pareil système. "Le capitaine propriétaire au lieu de voir
dans ses hommes des gens de guerre qu'il doit rendre tels, n'y voit
que des palefreniers, faits pour avoir uniquement le plus grand
soin des chevaux" (8). "L'intérêt
des capitaines se trouve toujours en opposition avec l'intérêt du
Roi ... La cavalerie est d'une profonde ignorance, parce que, par
complaisance pour les capitaines, on ne l'exerce pas (...) on fait
craindre aux plus braves gens de se trouver à une affaire où ils
s'exposeraient gaiement à tous les dangers pour le service du Roi
et leur gloire personnelle, mais la crainte de perdre vingt chevaux
et d'être ruîné les arrête..." (9).
Choiseul comprit que c'était là que résidait le
vice premier empêchant le développement de la compagnie. Dès lors,
en retirant la propriété aux capitaines, il fallait redistribuer
les tâches administratives. Le Major qui était investi d'un grade
supérieur à celui de capitaine, aidé de l'aide-major, et de sousaide-major,
d'un trésorier et d'un quartier maitre, prend en main la police,
la discipline, la tenue, les exercices, l'entretien, les réparations,
les fourrages, les recrues et chevaux sont fournis par le Roi. L'administration
paye au corps la solde, les rations, le fourrage, fournit l'armement
et l'habillement. Tout le monde s'y attendait, ces réformes furent
très mal accueillies par les capitaines dépossédés et subordonnés
aux majors.
Elles furent finalement admises car de surcroit
on demanda aux capitaines de "savoir monter à cheval". C'est, à
notre avis, ce fait qui déshonora totalement aux yeux des cavaliers
toutes revendications des capitaines. Il fallait qu'ils aient une
équitation parfaite et surtout qu'ils puissent l'enseigner: on demandait
donc aux capitaines une capacité qu'ils avaient rarement. Ils devaient
savoir monter à cheval, et en tirer les règles de conduite pour
leurs subordonnés autant pour l'exercice et les manoeuvres que pour
la guerre.
En conséquence de la grande réforme organique,
l'instruction de la cavalerie était présentée comme vitale pour
les troupes à cheval. Cinq écoles furent fondees à Metz, Besançon,
Douai, Cambrai, La Flèche (remplacée par Angers). Les trente et
un régiments de cavalerie durent y envoyer des détachements: 1 capitaine,
1 officier major, 2 lieutenants ou sous lieutenants, 16 maréchaux
des logis, 16 cavaliers. C'est de cette époque que date l'influence
prépondérante des écoles d'équitation que devaient avoir sur toute
l'armée et la cavalerie.
Les carabiniers du comte
de Provence (les carabiniers de Monsieur (10)
étaient en garnison à Saumur depuis 1763. La qualité de l'enseignement
équestre et son implication militaire dispensée dans ce régiment
fut considérée comme supérieure à celui fait dans les écoles précitées.
Choiseul rendit visite à cette garnison afin de se rendre compte
sur place de cette notoriété. Dans une de ses inspections, le secrétaire
d'Etat de la guerre reconnut que chacune des écoles avait une manière
particulière d'enseigner, qu'il importait de ramener à 1'uniformité.
Il fit venir à Paris, les meilleures élèves de chacune d'elles,
afin qu'une commission, composée d'inspecteurs et de mestres de
camp de cavalerie, décide sous sa présidence, celle dont les principes
devaient être adoptés.
En 1767, l'école de La Flèche était transférée
à Saumur. Jusqu'en 1788, l'enseignement équestre est confié aux
officiers du corps des carabiniers.
La formation en bataille est sur deux rangs. La
compagnie comprend 8 escouades, 4 subdivisions commandées chacune
par un maréchal des logis et 2 divisions commandées, la première
par le lieutenant et la deuxième par un sous-lieutenant. Deux compagnies
forment un escadron dirigé par le plus ancien capitaine placé à
deux pas devant le centre. Les deux lieutenants sont placés aux
ailes du premier rang, les deux sous-lieutenants aux ailes du deuxième
rang, le capitaine en second en serre-file. Le front se calcule
à raison de 3 pieds (c'est-à-dire un grand pas) par homme monté,
soit une douzaine de mètres par division: la profondeur des deux
rangs est de 6 mètres environ. Ces dimensions sont celles qui seront
conservées jusqu'en 1914. Les intervalles entre les escadrons sont
de vingt quatre mètres, mais cet intervalle peut être réduit à zéro,
ce qui s'appelle "marcher en muraille".
La charge se fait au galop, le sabre haut, les
éperons aux flancs et debout sur les étriers. Cette instruction
provisoire fut essayée au camp de Compiégne où quatre, puis six
régiments de cavalerie et quatre de dragons furent réunis le 10
juillet 1765. Le ler juin 1766, une ordonnance définitive confirme
en tous points l'instruction provisoire. Elle y ajouta deux prescriptions
qu'il faut remarquer.
L'instruction provisoire
du ler mai 1765 (11) avait
prescrit la construction d'un manège couvert dans chaque régiment,
où les officiers et cavaliers devaient être instruits de l'équitation
par les officiers ayant été formés dans les écoles créées par Choiseul.
Aucun officier ne peut être désormais reçu à son emploi sans avoir
fait le service de cadet, puis de maréchal des logis. Le capitaine
est rendu responsable de l'instruction de sa compagnie et est tenu
de se faire obéir par ses lieutenants et sous-lieutenants.
Il fallait alors à tout prix constituer une doctrine
unique pour l'instruction des corps.
Pour M. de Castries, "les
vues de M. de Choiseul dans l'institution des écoles d'équitation"
étaient "d'imposer un établissement de principes uniformes qui passant
des écoles à la troupe, puissent conduire successivement une aile
de cavalerie au point de manoeuvrer avec autant de précision et
de vitesse qu'un escadron" (12).
Le stage préliminaire imposé aux candidats officiers
fut précisé. Premièrement, il leur fallait passer deux mois comme
simple cavalier, deux comme brigadier, deux comme maréchal des logis
et subir un examen devant le chef de corps et les officiers supérieurs
avant de pouvoir exercer les fonctions de sous-lieutenant.
Deuxièmement, il fut prescrit de façon ferme, d'exercer
le régiment à cheval deux fois par semaine pendant les mois de juin,
juillet, août et septembre, et une fois par semaine en mai et octobre,
le reste du temps, les recrues devaient monter à cheval deux fois
par semaine au manège.
En 1770, Choiseul tombe en disgrâce car il veut
reprendre la guerre avec les Anglais: il n'a pas beaucoup apprécié
le Traité de Paris qui termine la guerre maritime et coloniale.
En
1770, M. de Castries constatait qu'après avoir fait manoeuvrer les
régiments de Strasbourg et de Metz, il avait "trouvé autant de différence
dans les commandements, les alignements et les autres principes
qu'il pourrait y en avoir entre un régiment anglais, français ou
allemand" (13). M. de Castries
constatait que : "sans équitation on n'a pas de cavalerie, avec
trop d'équitation on n'en a pas davantage". Ce qui lui fait dire
dans son rapport de décembre 1770 que " dans le nombre de personnes
qui ont été chargées par le ministre de l'exécution de ses vues,
il y en a qui s'en sont éloignées, les unes par système, les autres
par ignorance; mais la plus grande partie parce qu'elles ont interprété
différemment et mal saisi l'esprit des ordonnances " (14).
M. de Castries continue en exposant clairement
sa politique de compromis : "La théorie de l'exécution des manoeuvres,
ainsi que toutes les parties de l'instruction des officiers et cavaliers
de régiment, ayant été portées au point de ne plus rien acquérir
à ces différents égards, on dirigera dorénavant son travail de manière
à le rendre applicable à tous ces objets du service militaire, et
l'on abandonnera toutes les formes établies dans les écoles pour
n'adopter que celles qui tendent à ce but principal. Il serait difficile
de donner des instructions particulières sur toutes les circonstances
qui peuvent se présenter au cours d'une campagne. Aussi, on se bornera
à donner aux officiers des règles générales sur les circonstances
qui se répètent le plus souvent et dans lesquelles, cependant toutes
les combinaisons particulières doivent naturellement se rencontrer".
Il faut donc énoncer les principes, mais aussi
délimiter un cadre, un modèle à l'intérieur duquel on laisse agir
"l'encadré", "l'enveloppé", "l'équestré". M. de Castries rappelle
toutefois que le principe premier est de trouver les règles de l'uniformité,
donc l'établissement d'un langage unique pour le commandement.
On lit en marge de la minute de ses observations
"pour rendre parfaite cette ordonnance, qui est la plus militaire
de toutes celles qui ont été rendues depuis longtemps, il conviendra
d'y ajouter une instruction pour simplifier les commandements, même
expliquer quelques articles et fixer les alignements dans les rapports
qu'un régiment doit avoir dans une ligne".
Mais de nouvelles ordonnances allaient bouleverser
cette évolution pertinente de la politique de Choiseul que de Castries
soutenait.
"Il est nécessaire d'intéresser les capitaines"
disait Monteynard, le nouveau ministre de la guerre. Il ajoutait
que l'ordonnance avait réduit de moitié les compagnies existantes
et ainsi privé "la noblesse française d'un nombre de places qu'elle
a touiours désiré obtenir...". Bref, c'est un retour total à la
situation d'avant la guerre de sept ans. Les 30 régiments à 8 compagnies
de 54 hommes vont former chacun douze compagnies de 36 hommes et
réparties en 3 escadrons seulement. Il y aura donc 4 compagnies
par escadron.
Le Marquis de Poyanne commandant en second du régiment
du Comte de Provence disait dans un mémoire que l'effet de cette
fâcheuse réforme était de réunir "beaucoup d'inconvénients sans
être balancés par aucun avantage. Le Roi a moins d'hommes, moins
de chevaux effectifs, une diminution de 47 escadrons sur le tableau
militaire". La "manoeuvre militaire" allait se trouver remise en
question, car on ne savait plus où disposer les capitaines; on les
plaça un de chaque côté du quadrilatère que l'escadron représentait
vu en plan. Les écoles de cavalerie étaient supprimées et remplacées
par des ëcoles spéciales à chaque régiment avec des travaux allégés.
Par ailleurs, les capitaines avaient la faculté
de faire eux-mêmes des remontes ce qui leur assurait 400 livres
par cheval fourni.
Les auteurs d'ouvrages de tactique publièrent alors
leur avis critiquant le désastreux retour. La nomination au secrétariat
d'Etat à la guerre de l'arrière petit-neveu de Richelieu, le duc
d'Aiguillon (1720-1788) n'arrangea rien. Un comité d'inspecteurs
de cavalerie fut institué le 7 mars 1774 sous la présidence du prince
de Soubise, l'ancien vaincu de Rossbach.
Les inspecteurs demandèrent le retour au système
de Choiseul, et la suppression des nominations arbitraires pour
faire accéder aux postes selon l'ancienneté. Mais un nouveau ministre,
du Muy, se refuse à tout changement dans la composition de la cavalerie
(10 mars 1775).
Dans une lettre au Maréchal de Ségur (1724-1801),
secrétaire d'Etat à la guerre (1780-1787), datée du 23 juin 1785,
M. le marquis d'Antichamp lui déclare que "c'est après vingt deux
ans de peine, Monseigneur, qu'il règne dans nos idées et dans nos
méthodes une incertitude qui doit donner les plus grandes inquiétudes
sur les événements que présenterait une guerre".
Une ordonnance parue le 20 mai 1788 montre qu'à
l'aube du changement de régime, les discussions étaient toujours
aussi tatillonnes. On était revenu à la séparation de l'escadron
en deux compagnies, la place des officiers définie par le règlement
précédent avait été reprise, c'est-à-dire que le plus ancien des
deux capitaines était être devant le centre de l'escadron et le
second en serre-file, tous deux abandonnant la compagnie. Un chef
d'escadron fut nommé et on décida qu'il prendrait la place devant
le centre de l'escadron, les deux capitaines devant leur compagnie
avec le lieutenant et les sous-lieutenants en serre-file. La place
du colonel fixée d'abord à 12 pas devant le centre du régiment le
fut ensuite à 8 seulement. La charge se fait au galop le plus allongé
après 50 mètres de pas et 150 de galop normal.
Finalement, les préséances et les mesquineries
sur la place et les alluresétaient peu propres à développer le goût
et l'habitude de la manoeuvre rapide au moment du combat malgré
de nouveaux procédés d'évolution (oblique individuelle, oblique
par troupe, mouvement guerre, diagonaux, marches de flanc).
Voilà donc pour l'uniformité que les autorités
furent incapables d'imposer sauf l'ébauche d'un nouveau système
que fit Choiseul après la guerre de sept ans. Il est vrai qu'il
avait en quelque sorte carte blanche après cette guerre. La noblesse
préféra se taire quelque temps sur ces prétentions organisatrices.
En effet, la cacophonie équestre générale avait prouvé avant et
après Choiseul l'incapacité de celle-ci à se fixer des objectifs
politiques et militaires clairs et efficaces.
4. L'ordonnance
de 1777
Le comte de St Germain esquissa la réorganisation
de la cavalerie lors de son passage au Ministère de la guerre (octobre
1775-mai 1777) où Turgot l'avait fait nommer. Après avoir combattu
dans la guerre de sept ans, il se sentait un peu à l'étroit sous
les ordres du duc de Broglie. Il avait accepté les propositions
du Roi du Danemark qui lui demandait de prendre la direction du
ministère de la guerre. Ce fut à cette occasion qu'il mit à l'essai
les idées qu'il allait rapporter plus tard en France.
Les réformes portaient sur les points suivants
:
- création d'un conseil de guerre, espèce de conseil supérieur
qui avait pour but de maintenir la stabilité dans les règlements
et qui devait s'assurer de leur exécution.
- le respect de la religion et de son culte, afin " de ne pas
souffrir les moeurs publiquement dépravées et corrompues ". "Toute
troupe sans religion et sans moeurs ne sera jamais bonne".
- avancement des officiers donné surtout au mérite, " les choisir
parmi les plus intelligents et les plus capables, les plus distingués
et les plus connus par leur conduite ".
- détruire la vénalité des emplois militaires.
- donner aux officiers une solde suffisante pour vivre, mais ils
doivent s'en contenter. "L'homme militaire doit être sobre, se
durcir au travail et à la peine et s'accoutumer à toutes sortes
de privations"
- donner aux officiers une retraite proportionnelle à leurs services.
- garantir la possession de l'emploi qui ne peut être enlevé que
par un conseil de guerre.
- affirmer la subordination et la discipline, mais elles doivent
être paternelles . "Un supérieur est un père de famille dont l'autorité
doit être également majestueuse, ferme, douce et polie, et qui
par le tendre intérêt qu'il prend à ses enfants qui sont ses inférieurs,
doit se concilier leur respect, leur obéissance et leur affection.
Les inférieurs par reconnaissance de ces sentiments et par attachement
doivent craindre de déplaire et de désobéir".
- les corps militaires doivent se suffire à eux-mêmes et acheter
directement ce qui leur est nécessaire, sans intermédiaire.
- les titres doivent être ceux des grades effectifs, il ne doit
pas y avoir de titres sans la fonction.
- n'avoir en vue dans toute l'administration de la guerre que
l'utilité et 1'économie; retrancher tout ce qui n'est pas d'une
nécessité absolue.
L'ensemble de ces dispositions résume l'oeuvre
règlementaire de St Germain, retenue sous le nom d'ordonnance de
1777.
En plus de ces principes, une instruction sur Ies
manoeuvres se terminait ainsi: "Telles sont les manoeuvres auxquelles
veut Sa Majesté que les troupes à cheval soient exercées: mais elle
défend en même temps que toutes les fois qu'un régiment s'exercera
en entier, on s'occupe d'aucun objet de détail, le point essentiel
étant d'apprendre à se former promptement à la bataille, à bien
marcher en ligne et en colonne, à exécuter souvent le simulacre
de la charge comme l'objet le plus important et pour lequel on doit
acquérir la plus grande impression et enfin à se rallier très promptement
dans le besoin".
Voilà donc comment est établie la cavalerie par
Saint Germain en 1777 au grand dam des courtisans. On n'admettait
point les réformes si dépouillées de toutes traditions. Saint Germain
préface ainsi l'organisation moderne. Ses principes furent combattus
et il fallut rien moins que les guerres de la Révolution et de l'Empire
pour leur rendre leur notoriété.
Voyons maintenant à côté des politiques d'uniformisation
comment l'on essaya d'ériger une hiérarchie militaire.
5. Les problèmes
hiérarchiques
Nous avons vu combien il
était difficile de mettre en place une organisation de la cavalerie.
On imagine combien d'officiers ont pu être lésés dans leur carrière
et leur amour-propre par cette longue série de transformations de
l'arme. Si l'on avait cru supprimer la vénalité des charges sous
le ministère de Saint Germain, la réalité était tout autre: le jeune
noble pauvre ne pouvait prétendre au grade de capitaine. La noblesse,
jalouse de ses privilèges, irritée par l'infiltration des membres
du Tiers-Etat dans ses rangs, fait rendre le 22 mai 1781, une ordonnance
prescrivant que nul ne pourrait être nommé sous-lieutenant ou élève
d'une école militaire sans faire preuve de quatre quartiers de noblesse
de père devant le généalogiste du Roi. Malgré cela, l'influence
croissante de la riche bourgeoisie continue à ouvrir à ses fils
les portes des écoles militaires et le grade de sous-lieutenant.
La haute noblesse de naissance et de fortune arrive seule au commandement
des régiments et au grade d'officier général. Ainsi on voit une
prolifération d'officiers généraux pour maintenir au service cette
haute noblesse. En 1787, il y a 1 132 officiers généraux (rapport
Guibert le 28 octobre 1787 au conseil de guerre) (15)
ce qui correspondait à un ensemble plus nombreux qu'il y en a dans
toutes les armées d'Europe réunies. De là le manque de considération
pour ces grades élevés et le dégoût que pouvaient en avoir les grades
inférieurs qui cependant avaient la prétention d'y parvenir.
Le Conseil de guerre entreprit en vain d'établir
une règle dans les promotions faites jusqu'alors sans ordre et sans
limites. Aprés avoir proclamé hautement la nécessité d'empêcher
la fluctuation continuelle des principes, d'opposer une digue aux
demandes de faveur, de s'occuper d'abord de la réforme des emplois
inutiles et des doubles emplois en tous genres, des règles à établir
pour les promotions et les nominations aux emplois, il se vit forcé
de fléchir sous l'inconcevable et dangereuse puissance que conservait
la haute noblesse.
L'ordonnance du 17 mars 1788 sur la hiérarchie
réalisé par des hommes d'expérience mais ayant sacrifié aux préjugés
de caste, avait gardé à la noblesse tous les emplois d'officiers
au-dessus du grade de lieutenant. Les distinctions entre la noblesse
pauvre et la noblesse riche n'étaient pas supprimées, et la haute
noblesse recevait les plus hautes charges militaires. Par les emplois
de remplacement maintenus en sa faveur (le grade de major en second
créé pour elle seule), elle pouvait arriver en neuf ans de service
au grade de colonel. Les nobles sans fortune ne pouvaient parvenir
au grade de major avant vingt ans de service, et leur avancement,
à de rares exceptions près, devait être limité au grade de lieutenant-colonel.
L'ordonnance de 1788 confirmait la nécessité de présenter les preuves
de noblesse pour devenir officier. Les rédacteurs de l'ordonnance
disaient avoir assez fait pour le tiers-état en permettant aux officiers
fortunés d'obtenir, après une action d'éclat, le grade de capitaine
en second et en réservant dans chaque régiment aux bas-officiers
quelques places de sous-lieutenants.
A
la veille de la révolution, un abîme reste donc très profond entre
le bas-officier et l'officier. L'abîme qui sépare ce dernier du
soldat est encore plus énorme. Depuis que les capitaines ne sont
plus propriétaires, ils ont cessé encore plus qu'auparavant de s'occuper
de leurs cavaliers. Rien n'attache le soldat à cet officier qui
n'a de rapports avec lui que pour le commander ou le punir. Deux
mémoires, un de 1781 et l'autre de 1790 disent la méme chose : "Nos
officiers, nos cavaliers craignent leurs chevaux, les mènent mal"
(16). Un des plus grands inconvénients
de la cavalerie vient de la manière dont les officiers des différents
régiments montent à cheval. La majeure partie est à cheval de facon
à être embarassée de leurs chevaux (...) qu'il est impossible qu'ils
commandent et soient occupés de leur besogne parce qu'ils le sont
de leurs chevaux au point que cela fixe toute leur attention..."
(17).
Il faut observer que les efforts de mise en place
d'une hiérarchie conséquente se font en méme temps que les efforts
d'instauration d'une plus grande uniformité. Dans ces deux actions,
l'équitation est mise en avant par l'administration centrale comme
une technique disciplinaire pour unifier la troupe et hiérarchiser
le commandement.
II - EQUITATION
ET COMMANDEMENT
Pour constater un changement dans le fonctionnement
général de la cavalerie, i1 faudra attendre les réformes de Belle-Isle
et de Choiseul pour voir le signe d'une véritable transformation
dans l'esprit des bureaux de la guerre. Belle-Isle est en 1758,
le premier militaire nommé secrètaire d'Etat à la guerre.
Dans la cavalerie française on introduisait selon
les moments et les humeurs, des variétés infinies dans les modes
d'instruction. Chaque corps se faisait une réputation en adoptant
un système d'exercice complétement opposé à celui suivi par le voisin.
Le malaise ruinait la cavalerie qui s'étiolait.
On disait qu'un officier de cavalerie ne pouvait
être bon manoeuvrier s'il ne possédait pas l'équitation, c'était
devenu un postulat. L'art équestre devint alors le seul moyen de
parler à tous, puisque tous montaient à cheval. Très vite en ce
milieu de siècle indécis, on pensa que l'art de l'équitation mènerait
à la science générale des manoeuvres et qu'il en serait la base.
1.Homme de
cheval, homme de guerre (Saunier et d'Autheville)
Deux auteurs illustrent l'évolution des mentalités
sur le lien entre l'homme de cheval et l'homme de guerre : Saunier
et d'Autheville.
La très longue citation qui suit, de G. Saunier,
répond à toutes les questions que l'on peut se poser à propos de
la liaison délicate entre le "savoir monter à cheval", la capacité
au commandement de la troupe, et l'aptitude au commandement en général:
"Que l'on juge donc de la perte que fait un officier à la tête d'une
troupe, lorsqu'il ne peut pas bien conduire son cheval. Outre la
vie qu'il risque, il expose aussi au même danger toute sa troupe
par plusieurs raisons que je donne ci-après. Cet officier, par exemple,
a reçu le jour de l'action des ordres d'un officier au-dessus de
lui, cet officier qui les avait donnés, après les avoir reçus d'un
autre officier au-dessus de lui, ce qui lui venait de main en main
du Général en Chef, et celà pour faire les mouvements nécessaires
suivant les occasions et les occurences du gain ou de la perte de
la bataille. Or, comme tous les soldats et les cavaliers ignorent
ces ordres, ce ne sont donc que les officiers qui les savent; et
si par hasard cet officier vient à être tué, faute d'avoir su gouverner
son cheval, voilà une troupe dans l'embarras et qui fort souvent
tombe entre les mains de son Ennemi.
Outre ce malheur, si l'officier n'est pas Bonhomme
de cheval, comment pourra-t-il enseigner à ses cavaliers la manière
de conduire leurs chevaux ? D'un autre côté, si ceux-ci ne le savent
pas mieux que leur officier,comment pourront-ils parer les coups,
tandis qu'ils seront occupés de leurs deux mains à conduire leur
cheval ? De quelle main pourront-ils combattre leurs ennemis et
se défendre ?
Il me semble ici entendre parler un officier d'infanterie,
qui me dit: qu'ai-je besoin de savoir bien monter à cheval, je ne
suis pas dans la cavalerie, car je sers dans l'infanterie! Cet homme
me fait, en vérité, pitié. Il faut qu'il ait l'esprit et l'ambition
bien bornés; car tout officier qui n'ambitionne point de parvenir
par son mérite jusqu'à tâcher même de devenir Général, je dis qu'il
ne mérite point de servir dans les Troupes. Il en est de même de
tout homme qui n'aime point les chevaux, car il ne sera jamais Bonhomme
de cheval. Quand même un officier ne parviendrait qu'au grade de
Major, il faut que son commandement soit, un jour d'action, donné
au cheval pour faire promptement tous les mouvements et les évolutions
nécessaires du Régiment. Or s'il ne sait pas bien mener son cheval,
qu'il se trouve échauffé du bruit et du feu tant de la Mousquetterie
que du canon, il se voit hors d'état de pouvoir bien commander le
Régiment dans tous les mouvements à faire. Souvent même le Régiment
se trouve perdu par une faute de cette nature, étant hors d'état
de soutenir le choc de son ennemi.
Il y a plus, si cet officier devient Général, et
qu'il doive commander l'Infanterie, s'il ne fait pas bien conduire
son cheval, il ne pourra pas aussi commander comme il devrait faire.
Cet officier répondra sans doute: Eh bien ! j'achèterai des chevaux
tout dressés, lesquels seront accoutumés au bruit et au feu. Mais
je lui réponds que s'il ne sait pas donner les aides à son cheval,
ainsi qu'il a été dressé, le cheval fera souvent le contraire de
ce qu'il voudra lui faire faire.
Un autre dira: J'aurai un
écuyer qui dressera mes chevaux comme je les veux avoir; alors si
l'écuyer est bon et qu'il les dresse selon les règles, cet officier
ne pourra plus s'en servir. Je suppose même qu'on en ait dressé
un dont un Général peu expert dans l'art de monter à cheval, peut
s'être servi dans une occasion, ce cheval ne peut-il pas venir à
mourir ou être tué ? Ce Général se trouvera donc à pied, et par
ce moyen hors d'état de commander !" (18).
Progressivement l'équitation n'est pas seulement
le moyen de former un homme de guerre mais devient aussi le moyen
pour ce dernier de discipliner sa troupe.
Dans la seconde moitié du XVIIIe siècle, 1'équitation
n'est plus considérée comme l'apanage exclusif de tout homme de
naissance. On voulut faire alors selon le principe énoncé par Frédéric
II lui-même. Il entendait que chaque homme fut un écuyer et pour
cela il prescrivit que ses escadrons fussent dressés homme par homme,
cheval par cheval et cela pour ainsi dire pendant toute l'année.
Le comte de Brezé, officier
de cavalerie au service de la Sardaigne, écrivit en 1772 un ouvrage
dans lequel il reprend les préceptes du Roi prussien."Les colonels
doivent encore donner toute leur attention à bien connaître les
écuyers les plus habiles, ceux qui s'appliquèrent le plus, et ceux
qui forment un plus grand nombre de bons écoliers, afin de leur
procurer de l'avancement. Je me trompe très fort, si de telles dispositions
ne font pas des régiments invincibles" (19).
La littérature concernant l'équitation et sa valeur
pour "tremper" l'homme de guerre abonde en ce sens.
Un ingénieur militaire,
lieutenant colonel d'un régiment de grenadiers royaux, écrit un
volume édité en 1756 où il traite de la cavalerie. Charles Louis
d'Autheville des Amourettes (1716-1762) pensait que "l'exercice
du cheval est le plus noble de tous et celui qui convient le mieux
à un homme de qualité, et quiconque ne sait pas manier un cheval
ne peut jamais être un bon officier de cavalerie; c'est pourquoi
on doit s'attacher à cet objet si essentiel que souvent l'honneur
et la vie en dépendent, les plus grands capitaines ont toujours
excellé dans l'art de l'équitation" (20).
D'Autheville avait compris
que les querelles du moment n'avaient aucun fondement réel et cachaient
le véritable enjeu. "Ce qui s'appelle bien marcher pour la cavalerie,
c'est lorsque les hommes et les chevaux qui forment un escadron
agissent tous d'un même mouvement, comme s'ils ne faisaient qu'un
seul et même corps. Les experts en fait de cavalerie jugent en voyant
marcher deux escadrons, l'un contre l'autre, lequel des deux sera
battu: malgré l'égalité qu'il peut y avoir entre eux pour le nombre
et pour la valeur, voici sur quoi ils se fondent, et c'est une règle
presque infaillible: l'impétuosité du choc, l'un rompt l'autre qui
a moins de force, et cela parce qu'il marche mollement, qu'il est
ouvert, désuni ou bien encore parce qu'étant sur un front trop étendu,
il flotte, il fait la scie, le premier n'est plus fort que parce
que l'union étroite de ses parties bien proportionnées en forme
un corps solide, et que la vitesse, qu'il acquiert en conservant
dans sa carrière toute la fermeté redouble encore la pesanteur de
sa masse. Sa marche est sûre, elle est fière, elle en impose souvent
à tel point que son ennemi prévient sa charge en fuyant devant lui"
(21).
D'Autheville conclut: "Pour
qu'un corps de cavalerie puisse marcher comme il le doit, il est
absolument nécessaire que toutes les parties qui le composent, officiers,
cavaliers et chevaux y aient été dressés séparément avec le plus
grand soin. Puisqu'il ne faut qu'un seul défaut pour désordonner
l'escadron le mieux formé, on a peine à comprendre comment on y
fait entrer des cavaliers de recrues et des chevaux neufs avant
de les y avoir préparés longtemps auparavant, et il est encore plus
étonnant que des jeunes gens, qui n'ont pas deux ans d'Académie,
osent se proposer pour entrer dans la cavalerie en qualité d'officier
(22).
Donc, et c'est l'opinion générale, "le choix des
officiers qui doivent être placés dans la cavalerie est sans doute
une des choses les plus importantes et à laquelle un Général en
chef doit apporter la plus scrupuleuse attention...". Et par conséquent
"nul jeune homme, fut-il même le fils d'un prince ne doit être admis
dans la cavalerie s'il n'a auparavant appris à monter à cheval,
première et indispensable qualité de tout gentilhomme qui se voue
au service dans la cavalerie.
Il ne faut pas dire qu'il
apprendra et qu'avec le temps il se formera, non il doit pour être
accepté, être déjà tout à fait et déjà dans le cas d'enseigner à
monter à cheval aux cavaliers à la tête desquels il doit être placé"
(23).
2. Equitation
et discipline de la troupe à cheval (Lubersac et d'Auvergne)
Au début, les écuyers qui se tournent vers la cavalerie
ne sont pas des militaires. Ce sont avant tout des experts en dressage
du cheval et accessoirement des enseignants (voir en annexe la présentation
de quelques uns des théoriciens de l'équitation militaire). Ils
apparaissent comme un ensemble de personnes capables de refonder
la cavalerie par l'équitation.
L'art équestre devient ainsi un ensemble de préceptes
utilisés pour créer une discipline commune aux officiers et à la
troupe. Ce lent processus se fonde dans les débats du dressage et
de l'élevage du cheval qui est toujours reconnu comme l'animal illustrant
la noblesse donc ceux qui sont sensés commander dans la guerre.
Francois-Louis de Lubersac (1713-1767) est page
à la Grande Ecurie de Versailles de 1731 à 1735. Il est l'élève
de François de Salvert écuyer ordinaire du premier manège à Versailles
en 1722. En 1736 Lubersac devint écuyer cavalcadour, c'est-à-dire
chargé de dresser les jeunes chevaux du Roi, puis écuyer ordinaire
en 1740. Il enseigne de 1744 à 1765 à l'école des chevau-légers
de la maison du Roi. Le comte de Lubersac eut de nombreux élèves
qui reprirent son enseignement dans diverses institutions militaires
qui allaient se créer au milieu du XVIIIe siècle. Lubersac est l'initiateur
d'une véritable " école de pensée " dont l'histoire précise reste
à composer et à écrire. Ses motivations se trouvent notamment dans
sa volonté de refonder des éleveurs cavaliers, et à redonner un
sens à la noblesse. Lubersac et ses idées sont mal connues, et il
est possible dans un premier temps de suivre ses élèves pour approcher
ses volontés et ses actions.
Jacques d'Auvergne (1729-1789) est l'élève le plus
prestigieux de Lubersac. Pendant très longtemps on a dit qu'il n'avait
rien écrit, car, Mennessier de la Lance, le grand bibliographe et
biographe équestre, n'a rien signalé à son sujet, comme à propos
de son maître d'ailleurs.
D'Auvergne est nommé à vingt-sept ans à la tête
de l'enseignement équestre de l'école militaire de Paris jusqu'à
la fermeture de l'école en 1788. Il est capitaine en 1762, lieutenant
colonel en 1773. Messieurs de Vivefoy et de Bongars l'assistèrent
jusqu'en 1784 et de 1784 à 1788, ce fut le tour du chevalier du
Tertre. Il faut noter parmi ses élèves cadets gentilshommes, un
dénommé Napoléon Buonaparte, entré à l'Ecole le 22 octobre 1784
et qui en sortit lieutenant d'artillerie le 28 octobre 1785.Tous
ses anciens élèves officiers n'abandonnèrent pas la particule comme
Davout qui jusqu'en 1815 se battit au côté de Napoléon contre d'autres
cadets.
L'historien de l'art militaire
qu'est H.Choppin édite en 1902 les pièces manuscrites de d'Auvergne
qui étaient oubliées au Ministère de la guerre (24).
Deux textes de d'Auvergne nous permettent d'analyser
en profondeur la conception du commandement qu'il enseignait à l'occasion
de ses cours d'équitation à l'école militaire. Cette leçon se présente
par une recherche des principes. "Nous avons sur l'art de l'équitation
beaucoup de livres et pas un qui renferme des principes, de là vient
la grande diversité des opinions, chacun ayant la sienne sur une
longue routine dont l'amour propre ne nous permet pas de nous départir".
Il continue en faisant l'inventaire des théoriciens
du XVIIe siècle.
"Le célèbre M. de Newcastle
nous a laissé un livre où il y a des choses excellentes, quant au
travail des chevaux, à la patience et à la sagesse qu'il faut avoir
pour ménager un animal aussi utile à l'homme. Mais pas un mot des
principes qu'il employait pour parvenir à son but; M. de la Broue,
célèbre par les éloges que lui a prodigués M. de Newcastle, lui
a été bien inférieur. Pluvinel est obscur, diffus, bien inférieur
aussi au grand Newcastle. Les autres auteurs anciens ne méritent
pas la peine d'être cités, n'ayant dans leurs livres ni conduites,
ni principes, ni sagesse dans leurs moyens. M. de la Guérinière,
auteur moderne nous a laissé un ouvrage qui doit être estimé de
tous les gens de l'art. Son livre renferme d'excellents moyens pour
dresser le cheval, mais il ne nous apprend pas les principes qu'il
employait pour parvenir à former un homme de cheval, ce qui le met
dans le cas des auteurs qui l'ont précédé" (25).
Dans cette citation de d'Auvergne, il apparaît
à l'évidence que l'équitation ne l'intéresse qu'à un second niveau.
Pour d'Auvergne, les théoriciens équestres du XVIIIe ont bien sûr
parlé du cheval, et même très bien, mais n'ont pu dégager clairement
les principes pour former l'homme.
Pourquoi donc d'Auvergne voulait-il trouver des
principes? D'une part parce qu'on lui demandait de les dire dans
une institution faite pour les enseigner, et d'autre part parce
que l'équitation du XVIIe malgré ses qualités et sa simplicité,
n'énonçait pas clairement les principes que la cavalerie réclamait
pour se structurer dans son ensemble et dans chacune de ses parties.
En effet, l'homme apparaissait dorénavant comme la nouvelle base
de la réorganisation de l'institution cavalière.
Voilà comment il juge les auteurs de l'équitation
"dite classique". "Tout ce qui résulte de ces différents auteurs,
c'est qu'ils se sont entièrement attachés à nous donner tous les
moyens de corriger toutes les fautes que peut faire un cheval, sans
avoir fait attention aux causes qui peuvent les faire naître. Il
est démontré que presque toutes celles qu'il fait, prennent leur
source dans 1'inexpérience et le défaut de capacité du cavalier.
Car si l'animal pouvait nous faire entendre par quelque signe que
nous le chargeons inégalement, que nous nous opposons par cette
mauvaise position au transport de telle de ses parties qui sont
attirées par d'autres, ce qui les met dans l'indispensable nécessité
de se défendre pour soulager et tirer de la contrainte de la partie
retenue, nous serions bien surpris de voir que la raison, notre
vivacité, notre humeur, la supériorité de notre intelligence, nous
font rejeter sur lui même les fautes que nous lui faisons faire
et nous empêchent de réfléchir aux moyens qu'il y avait à prendre
pour les prévenir. Tous ces inconvénients, dans lesquels les auteurs
ne sont point entrés, feraient la matière d'une infinité de raisonnements
qu'un mémoire aussi abrégé ne nous permet pas de traiter. Nous dirons
seulement que l'homme de cheval doit être persuadé de la vérité
de ce principe que toutes les fautes que fait l'animal sont causées:
a) par celles que le cavalier fait en ne formant
pas un tout avec lui, ce qui le contrarie dans ses mouvements,
b) par la faiblesse de l'animal qui ne peut lui
permettre d'exécuter tel ou tel mouvement,
c) par le défaut de connaissance dans l'animal,
qu'il ne peut acquérir que dans les leçons, le temps et les forces
dont la nature l'a pourvu.
Ces trois points dépendent
absolument de la science de l'homme de cheval" (26).
D'Auvergne,en essayant de dégager les principes
de l'art équestre utile pour le cavalier de la troupe, définit en
fait les principes du commandement de la troupe.
L'animal représente ce corps qu'est la cavalerie
et le cavalier représente quant à lui le commandement : "dans le
premier cas, si la position contrarie les mouvements de l'animal
et qu'elle ne s'y prête pas, c'est la faute du cavalier. Dans le
second cas, si la faiblesse de l'animal ne permet pas au cavalier
de lui demander tel ou tel mouvement, c'est une faute du cavalier
de les lui demander. Dans le troisième cas, si l'animal n'a point
été stylé à faire tel ou tel mouvement, le cavalier fait une faute
de les 1ui demander. Il faut de 1'art, du temps et de la patience
pour l'amener à la connaissance des choses qu'on peut exiger de
lui''.
Il ajoute: "cette aisance et cet accord que nous
recommandons de donner à l'homme et au cheval, ne contribueront
pas moins à la conservation de l'homme, objet le plus important
pour l'humanité. Qu'on réfléchisse un moment sur les positions tendues,
une tension dans toutes les parties du corps de l'homme pour le
grandir. Le peu d'union qui doit résulter de deux corps, qui se
choquent à chaque instant, fatigue nécessairement l'homme et détruit
sa marche. Des jeunes gens forts vigoureux tiendront dans cette
position pendant quelques années. Mais qu'en résultera-t-il ? Que
ces hommes seront énervés au bout de quelque temps (...)".
D'Auvergne est écuyer à l'école militaire, mais
a été formé aux chevaux légers, où le recrutement se faisait à l'image
de l'école des pages, c'est-à-dire que les hommes devaient étre
"grands et bien faits".D'Auvergne dit que les principes équestres
de cette école concernaient uniquement ce gabarit d'homme. "D'ailleurs,
on peut encore observer que les principes, dont on s'est servi jusqu'à
présent, n'ont pu former que des jeunes gens grands, bien faits,
ayant ce qu'on appelle des dispositions, au lieu que par le moyen
des principes indiqués par la nature, tous les hommes, de tout age,
de toute sorte de conformation, peuvent acquérir le degré nécessaire
pour former un cavalier".
L'ambivalence est permanente dans le discours équestre
du XVIIIe siècle comme nous l'avons déjà signalé. L'équitation est
un art de diriger mais doit être en méme temps un guide de recette
pour le simple cavalier.
"L'homme uni avec son cheval ne recevra point de
ces contre-coups (surtout au trot) qui lui font faire des efforts
ou le fatiguent à un point qu'il prend du dégoût pour l'équitation
et que, quand il en est dans le cas, il ne veut plus se rengager,
ce qui produit un mal au service du Roi, qui perd un cavalier qui
commençait à étre bien formé et en état d'en former d'autres". Pour
ces derniers, l'équitation de d'Auvergne prescrira la position naturelle,
qui ne tend pas les hommes... Le discours de d'Auvergne vers la
position naturelle est celui qui s'imposera au fil des temps à 1'équitation
tout entière.
On a trop tendance aujourd'hui à relire ces théories
en extrayant des discours équestres leur message sur le commandement.
Tous les ouvrages modernes ont complètement négligé cet aspect entremêlé
dans les théories équestres. Ils n'énoncent que des banalités illustrant
bien que dès le XIXe siècle, le discours du pouvoir s'est détaché
du modèle équestre pour emprunter d'autres voies, ce qui ne veut
pas dire que la tradition n'ait point eu d'influence durable, D'Auvergne
est à la croisée des chemins. C'est lui, et son contemporain Dupaty
de Clam (1744-1782) qui énoncèrent les principes le plus clairement.
L'assiette est ce centre à partir duquel l'équilibre
se fait. A ce sujet, d'Auvergne parle de centre de gravité, empruntant
ainsi une démonstration purement mécanique. "Le centre de gravité
de l'homme est dans une ligne verticale qui prend du sommet de la
tête et se termine à l'os pubis. Le centre de gravité du cheval
est de même dans une ligne verticale qui prend du milieu du dos
de l'animal et se termine à la pointe du sternum. L'homme doit être
placé sur le cheval de manière que la ligne verticale, dans laquelle
se rencontre son centre de gravité, se trouve directement opposée
à la ligne verticale dans laquelle se trouve le centre de gravité
du cheval et que ces deux lignes ne forment plus qu'une seule et
même ligne droite".
L'alignement sur le centre était un des principes
d'organisation de la cavalerie tout autant qu'un principe de rassemblement
dans la bataille.
L'escadron aussi bien que le régiment étaient conçus
comme des corps avec un centre de gravité. Les principes d'art équestre
sont transposés à la composition de la troupe. La verticalité concrète
dans le premier cas est transposée à une verticalité abstraite dans
le second: c'est la verticalité parfaite de la hiérarchie sur le
corps stable et unifié de la cavalerie.
En 1786, Frédéric II meurt
en Prusse. L'exemple militaire s'éteint et même si pendant quelques
temps le comte de Saint Germain essaya ses méthodes sur les troupes
françaises (les châtiments corporels), il était dit et connu par
tout le monde que si le prussien marchait au bâton, le Français,
lui, marchait à l'honneur. L'Ecole militaire de Paris, l'école des
cadets qui sortaient de collèges militaires, est supprimée en 1788.
La même année, les carabiniers du régiment de Monsieur quittent
Saumur où l'école est fermée. L'année précédente la petite écurie
de Versailles l'avait été aussi. Les institutions de l'honneur disparaissent
donc. Mais l'honneur allait devenir encore "plus à l'honneur", si
l'on peut dire, avec la période qui allait suivre 1789. Dans les
derniers jours de 1793, le Comité de Salut Public fait appel à un
général de l'Ancien Régime, pour lui demander son avis sur le système
militaire à adopter dans les circonstances critiques d'alors. "Il
faut, disait ce général (...) doubler la masse des combattants,
de sorte que, sans être obligé de réparer sur le champ les pertes
probables, on puisse opposer le nombre aux efforts de l'art. Le
moyen le plus sûr d'atteindre ce but, c'est de faire la guerre en
masse; c'est-à-dire de placer sur tous les points d'attaque le plus
de troupe et d'artillerie possible, de prescrire aux généraux comme
le devoir le plus sacré de combattre toujours à la tête des troupes,
pour leur donner l'exemple du courage et du dévouement, et de les
accoutumer à ne jamais calculer le nombre des ennemis, mais à les
attaquer avec chaleur, la baionnette au bout du fusil, sans s'amuser
longtemps à tirer ou à manoeuvrer, car les troupes françaises d'aujourd'hui
n'y sont plus assez exercées, elles n'y sont pas seulement préparées"
(27).
Cette déclaration illustre ce qui sera bientôt
demandé à tous les patriotes, dans l'armée républicaine.
La Révolution se caractérise par une situation
où le pouvoir apparaît à tous comme vacant, devenu libre, intellectuellement
et pratiquement.
Dans l'ancienne société,
c'était le contraire: "le pouvoir était occupé de toute éternité
par le roi, il n'était jamais libre qu'au prix d'une action à la
fois hérétique et criminelle et il était d'ailleurs propriétaire
de la société arbitre de ses fins. Or, le voici non seulement disponible,
mais propriété de la société, qui doit investir, le soumettre à
ses lois. Comme il est aussi le grand coupable de l'Ancien Régime,
le lieu de l'arbitraire et du despotisme, la société révolutionnaire
conjure la malédiction qui pèse sur lui par une sacralisation inverse
de celle de l'Ancien Régime: c'est le peuple qui est le pouvoir"
(29).
ANNEXE DU CHAPITRE
VI :
LES THEORICIENS DE L'EQUESTRATION
MILITAIRE AU XVIIIe SIECLE
Celui que Frédéric II appelait le professeur de
"tous les généraux", Maurice de Saxe
(1696-1750), avait commencé sa carrière à douze ans au siège de
Lille où il avait rejoint son père dans le camp des ennemis de la
France. Il est au siège de Tournai et se bat à Malpaquet. C'est
en 1720 qu'il offre ses services à la France. Il combat aux côtés
du duc de Belle Isle (Charles-Louis Auguste Fouquet, 1684-1761,
le futur ministre de la guerre). Plusieurs campagnes et plusieurs
commandements de provinces en font un des hommes les plus puissants
d'Europe. Louis XV avec lequel il avait fait la campagne des Pays-Bas,
le nomme Maréchal de France. Le Maréchal de Saxe donna priorité
aux manoeuvres dans ses batailles. Pour lui l'art de la guerre consiste
à contraindre l'ennemi à abandonner la lutte sans avoir recours
à la bataille. Il s'agit de démoraliser l'ennemi par des manoeuvres
préliminaires. Cette théorie, le Maréchal voulut qu'elle fut généralisée
et chargea un de ses aides de camps, Drummond de Melfort, d'exercer
son régiment et ses cavaliers afin de "s'en bien trouver" en temps
de guerre.
Louis
Hector Drummond de Melfort (1721-1788) était issu d'une famille
de cavaliers. En 1735, il est cornette au régiment de Gesvres Cavalerie.
En 1739 (17 ans) il est capitaine à Royal-Piémont, en 1745 (23 ans),
il est aide de camp de Maurice de Saxe à Fontenoy. Il reçoit en
1747 le commandement du régiment Orléans-cavalerie. Drummond de
Melfort essaye d'imposer l'idée d'une simplification des principes
équestres afin qu'ils fussent bien saisis par les cavaliers. L'édition
en 1776 de son Traité de Cavalerie est bien postérieur à la composition
de ces principes que Drummond avait rassemblés en mémoire dès 1748.
Ce furent ceux qui seront repris par l'ordonnance de 1766 pour l'instruction
des corps de cavalerie, dont nous savons l'abandon après la disgrâce
de Choiseul en 1770. En 1750, Drummond de Melfort travaille avec
Lubersac aux chevau-légers à Versailles. En 1761, il commande la
légion royale et devient maréchal de camp et inspecteur général
des troupes légères. Dans son "traité de cavalerie" il dit que "tout
ce qu'il désire est de contribuer à former des gens de guerre" (30).
"Il ne suffit pas pour un
officier général d'être en état de bien commander, mais qu'il faut
de plus qu'il ait le talent de pouvoir, du premier coup d'oeil apprécier
le degré d'instruction des troupes qu'il aurait à conduire, afin
de s'arranger en conséquence sur les commandements qu'il aurait
à leur faire" (31).
Le coup d'oeil, oui, mais
il faut aussi l'art d'intervenir. Pour cela il faut des aides. "Ce
que l'on appelle Aides, en terme d'équitation n'est autre chose
que le secours que le cavalier tire de sa main, de ses cuisses,
de ses jarrets, des gras des jambes et des talons, auxquels les
éperons sont attachés" (32).
Un autre personnage est à signaler. Ecuyer du Dauphin
depuis 1751, il contribua à la réorganisation de l'équitation dans
la cavalerie. Montfaucon de Rogles
(1717-1760) est l'élève de François de Salvert puis de Lubersac.
Il est aux pages du Roi en 1738, d'où il sort cornette de cavalerie
en 1745. Il est en 1747 à la tête du manège de l'école des chevau-légers.
Il écrivit un traité d'équitation édité seulement en 1778 et réédité
en 1810. Lors de l'installation de l'école de cavalerie à Saumur
en 1814, le manuel réalisé pour l'instruction équestre s'inspira
en grande partie de son traité.
Mottin de la Balme
(1745-1780) militaire de carrière combattit très jeune pendant la
guerre de sept ans au côté du prince de Condé. Il écrit deux ouvrages
: "Essais sur l'équitation ou principes raisonnés sur l'art de monter
et de dresser les chevaux" (1773) et "Eléments de tactique pour
la cavalerie" (1776). Il est officier à Lunéville et à ce titre
il enseigna des théories équestres proches de celles de Lubersac
et d'Auvergne, sous l'aspect de la nécessaire simplification du
langage équestre pour l'instruction aux simples cavaliers. "Au lieu
de faire du dressage du cheval un art difficile et sur lequel on
subtilise, il serait plus pratique de le rendre simple et d'en faire
faire un travail utile pour le cavalier. Au lieu de lui apprendre
les allures de la haute école, il vaudrait mieux l'exercer aux allures
de manoeuvre, dont il peut avoir besoin devant l'ennemi...". En
fait, pour Mottin de la Balme, il faut blamer les allures raccourcies
dont l'académisme donnait un exemple caricatural.
"Ce n'est pas d'après le
grand nombre, les grands mouvements des troupes qu'il faut d'abord
compter, combiner et rechercher la cause des désordres, du succés
ou des revers, mais d'aprés la mécanique et l'organisation de toutes
les parties qui composent les divisions, dont l'action et la volonté
unanime poussées à un certain degré et secondées de la science,
triomphent constamment de la valeur de la force mal employée, du
nombre et des obstacles. Pour y parvenir, on doit choisir avec discernement
les combattants, les former et les ordonner de la manière la plus
avantageuse en sorte qu'ils puissent se secourir mutuellement sans
se nuire: il faut endurcir les corps par de continuels et violents
exercices, multiplier la force par l'adresse ainsi que la masse
par la vitesse, il faut armer, discipliner, exciter et diriger les
passions, pour les faire tendre à d'heureuses fins" (33).
François Philibert Loubat
baron de Bohan (1751-1804) est un des héritiers de l'enseignement
de d'Auvergne. En effet, il entre à l'école militaire de Paris en
1768, Bohan est cornette au régiment Royal-Cologne, puis nommé capitaine
en 1776 au La Rochefoucauld-Dragons. En 1781, il fait paraître un
"Examen critique du militaire français". En 1784, il est nommé colonel
au Lorrain-Dragons. En 1791 il est élu commandant de la garde nationale
à cheval à Bourg-en-Bresse. Bohan est un de ceux qui transmirent
au XIXe siècle les enseignements de l'Ecole des chevau-légers et
de l'école militaire de Paris. Dans son ouvrage on retrouve la double
revendication de l'armée française, à savoir des règlements précis
et détaillés qui seraient en même la marque de la volonté du Roi
: "En général, le soldat ne saurait être assez exercé. Mais il semble
qu'on pourrait faciliter un peu plus à l'officier les moyens de
s'instruire par une ordonnance bien détaillée qui fixât pour toujours
l'intention du Roi et donnât des règles certaines et immuables".
Jean François Ducroc de
Chabannes (1754-1835) entré à l'Ecole militaire de Paris
en 1766, fut aussi trés influencé par d'Auvergne. En 1772, il est
sous-lieutenant au Royal-Cavalerie où il est nommé lieutenant en
1775. En 1792, il reçoit la Croix de St Louis et sert la République.
Il envahit la Savoie, en 1793, il assiège Lyon où royalistes et
girondins s'étaient soulevés contre la Convention. Il fait les campagnes
de l'an II, III, IV en Italie, en XIV, 1806, 1807, 1808 aux armées
du Nord. En janvier 1815 il est écuyer à Saumur, il est rayé des
cadres en Février 1817 à la suite d'un différent avec Cordier à
propos de la valeur des exercices de manège dont il ne voyait pas
l'utilité, comme de l'équitation académique. Il écrivit un traité
élémentaire d'équitation à l'usage des lycées de l'Empire (1812)
et rédigea ses cours qu'il fit à Saumur en 1817. Il donna aussi
pour asseoir historiquement son héritage, un cours résumant les
principes de d'Auvergne édité en 1827.
Jean-Baptiste
de Boisdeffre (1747-1827) fit ses débuts à l'Ecole militaire
de Paris avec d'Auvergne. Après l'école il est nommé au corps de
carabiniers de Monsieur le comte de Provence, futur Louis XVIII.
Il est lieutenant en 1775, capitaine en 1785. Il est nommé instructeur
d'équitation jusqu'en 1788. Boisdeffre, contrairement à Bohan, émigre
mais rentre en 1802. Il fait rééditer son ouvrage de 1788 "Principes
de cavalerie". Instructeur d'équitation à St Cyr, en 1811, Boisdeffre
comme Bohan contribua à transmettre l'héritage du XVIIIe siècle.
Boisdeffre dénonce la routine de l'enseignement équestre dans la
cavalerie. "Une théorie superficielle, incomplète et fautive a formé
jusqu'ici la base de l'instruction du cavalier. Dans presque toute
la cavalerie cet objet est abandonné à un bas officier qui, uniquement
guidé par une routine de mots, n'apprend à l'homme qu'il instruit
qu'à être un automate placé de telle ou telle manière" (34).Il
est intéressant de souligner la dénonciation "d'une
routine de mots" ne produisant que des "automates". Il ajoute "l'art
de l'équitation de quelque manière qu'on l'envisage, ne peut être
considérée sous un point de vue plus utile que par l'application
qu'on peut en faire à rendre plus redoutable une arme essentielle"
(35)."L'objet que je me propose
(...) est de chercher quels peuvent être les moyens les plus prompts
et les plus efficaces qui donneront à un régiment de cavalerie l'ensemble
et la célérité qu'il doit avoir à l'exécution d'une manoeuvre. La
principale cause du peu de progrès qu'a fait la cavalerie française
depuis vingt ans qu'on l'instruit, vient sans doute du vice de l'instruction
du cavalier. On n'a point assez senti que la position la plus militaire
doit être en même temps 1a plus ferme, et celle qui donne le p1us
de liberté. Des cuisses tournées avec raideur, un corps soutenu
avec gêne, aucune liberté dans le travail des bras et des jambes,
des chevaux trop retenus, des opérations presque toujours fausses,
toutes ces raisons ont dû faire consommer une grande quantité de
chevaux, avec très peu d'avantages pour la chose. Il
faut nécessairement, lorsque plusieurs parties doivent concourir
à former un tout, qu'elles y soient préparées de manière à tendre
à l'union et à l'accord que son ensemble exige.(...) Je voudrais
qu'un cavalier ne fût jamais mis dans l'escadron qu'il n'eût été
instruit de tout ce qui y est relatif" (36)?
Pour Boisdeffre, pour "dresser l'ensemble", il faut que chacun y
soit préparé. Même, il pense qu'il faudrait pendant un mois par
an reprendre cette école individuelle "en s'attachant à la correction
des défauts dont il ne faut plus s'occuper dès qu'on manoeuvre".
"Avant d'être mis en mouvement, on préviendra que l'avertissement
de "garde à vous" est l'ordre du silence et de l'attention, qu'aussitôt
qu'il est prononcé, chaque cavalier doit être soutenu, avoir la
tête haute et l'oeil à l'alignement, d'un air fier et militaire"(...)
"personne n'ignore que la force des armées est chez toutes les nations,
l'ouvrage de la discipline et la cavalerie abandonnée, sans règles
ni mesure, serait bientôt la victime du désordre".
La grosse difficulté dans la cavalerie viendrait
du fait que lorsque " le cavalier escadronne, son cheval lui oppose
toujours une résistance car il se laisse porter par les autres animaux
et c'est une des causes des désordres et des paniques ". Il faut
dès lors éviter "que ce fut le cheval qui menât le cavalier".
Les théories militaires donneront au dressage du
cheval une plus grande importance à partir de ce constat.
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